Aujourd'hui, je me lance dans un exercice difficile, parce que j'attaque la rédaction de cette chronique que je sais lacunaire sur son fond. Pour que vous compreniez cependant pourquoi j'ai tenu à la mener à bien, il faut que je vous explique les étapes qui ont précédé la publication.
Pour tout vous dire, vraiment tout, je suis tombé sur le DVD d'Inunaki de manière fortuite, alors que je cherchais dans le rayon cinéma ridiculement minuscule d'une Fnac Alsacienne quelque chose d'hypothétiquement bon à se mettre sous la dent. De la maigre sélection exposée, le film était de loin la seule chose qui attise ma curiosité. Il faut que vous compreniez que je n'en avais jamais entendu parler, et que j'ai été convaincu d'acheter par la pochette du DVD qui m'annonçait "Prix du Jury à Gerardmer, par le réalisateur de The Grudge" ; deux choses en lesquelles je suis tenté d'avoir confiance. J'ai aimé The Grudge, notamment ou plutôt Ju-On : The Grudge si l'on parle bien des films Japonais, avant les remakes Américains. Pas de problème, direction la caisse !
J'ai regardé le film, et là encore, décidément tout va bien : le générique de fin défile et je pousse un soupir d'aise alors qu'il me semble avoir vécu une expérience horrifique enrichissante et rafraichissante. J'avais pris des notes pendant le visionnage, et j'étais décidé à faire un article. Simplement voilà , le film était assez obscur, je me suis dis que j'allais regarder de plus près les critiques, au cas où un détail essentiel m'aurait échappé. La première chose qui m'aura surpris, c'est la tiédeur des retours qu'a reçu le film. À croire que le jury de Gerardmer et le reste du public n'avaientt pas vu le même film. Jusque là , pas de péril, je me dis que justement, une petite chronique va rétablir la justice sur un très bon film. Et puis je tombe sur la chroniqueur d'un youtubeur expert en la matière qui explique que la raison pour laquelle Inunaki est un chef d'oeuvre, c'est qu'il s'agit d'une des péloches les plus personnelles de son réalisateur, parce qu'elle fait écho à sa carrière et les déboires qu'il a essuyé. Là , c'est sûr, je m'avoue vaincu. Je vous l'ai dit, je n'y connais pas grand chose sur Takashi Shimizu, à part que j'ai vraiment aimé Ju-On. Je n'avais aucune idée du contexte. Je n'y connais même pas grand chose en horreur Japonaise, à part une poignée de films, et le folklore que Lafcadio Hearn aura gracieusement apporté à l'Europe.
Alors pourquoi faire cet article, puisqu'après tout je n'avais pas les connaissances nécessaires pour l'avoir pleinement saisi ?! Pour une raison simple : même sans savoir tout ça, le film est nettement meilleur que la majorité de la populace ne veut bien le laisser entendre. Sans même le mettre en perspective avec la filmo de Shimizu, le film se suffit pour être excellent.
Mais avant tout, de quoi on parle ? "Inunaki, le Village Oublié" est une interprétation libre d'une légende urbaine Japonaise qui dépeint un village hanté où de nombreuses personnes auraient disparu. Dans les faits, le film ouvre sur un homme (Yuma) et une femme (Akina) qui se prennent en vidéo alors qu'ils semblent avoir trouvé le fameux village d'Inunaki, un peu à la manière de vidéastes sensationnalistes nombreux sur internet. Alors qu'ils explorent un tunnel, puis le village, on a vite l'impression que le couple n'est pas tout seul ; et très vite, Akina se fait attaquer par des fantômes. Les deux tourtereaux prennent la fuite, mais dans les jours qui suivent l'excursion, Akina se conduit très bizarrement. S'ensuit une série de tragédies et disparitions qui vont pousser Kanata, la soeur de Yuma, à enquêter sur le fameux village, pour tenter de percer à jour un mystère qui semble déteindre sur sa propre famille.
J'essaye de vous en dire le moins possible sur l'intrigue. Au niveau du ressenti je commencerai par dire que ça fait du bien d'avoir un film qui sait encore faire peur. Et pourtant, il n'y a rien de spécialement novateur là -dedans, juste un peu d'inventivité et le refus de passer par les gimmicks feignants sans saveurs dont on soupe beaucoup trop. Un bon exemple de ça, c'est la question du jumpscare : Inunaki en comporte un, un seul. Il advient sans musique, sans artifice, sans screamer ; par contre il est plus efficace qu'un grand nombre de jumpscare que j'ai pu voir ces dernières années, parce qu'il tient sur la brutalité du montage, et la qualité de la narration. Il arrive à un moment où véritablement on ne s'y attend pas, où on a relâché la garde, et nous saute littéralement au visage (et à celui de Kanata). Réfléchissez-y. Combien de films avez-vous vu, où soudain la musique change, la caméra se fige, et où vous vous êtes dis "Ah, tiens, ça y est... on va sursauter... BOUH!... hé bah voilà on a sursauté..." ? Le film nous sert autre chose en étant plus malin, et ça c'est un beau cadeau !
Même chose en ce qui concerne le maniement de l'inquiétante étrangeté : le film ne se moque pas de nous et visuellement, on a quelque chose dont on n'a pas l'habitude. Beaucoup de fantômes sont flous, avec des déplacements qui tiennent du jeu d'ombre. On retrouve aussi des créatures avec des mouvements désarticulés (qui pour le coup, oui, vous rappelleront Ju-On) très bizarre, qui pour le coup ont un côté presque "marionettiques".
Pour cette ménagerie, l'ambiance est maintenue intacte par un usage juste de la suggestion. Toutes les intrusions du surnaturel sont fugaces. Elles adviennent également de jour comme de nuit, et jusqu'au-delà des frontières du village, ce qui donne l'impression d'un mal insidieux, plus envahissant que dans beaucoup de productions où la lumière est trop claire pour faire peur. Je dis d'ailleurs "un mal", mais en réalité, le rapport qu'ont les personnages avec les apparitions est bien souvent trouble, bien loin d'une opposition binaire "les gentils et les méchants" ; ce qui, là non plus, n'est pas du luxe. Après tout, dans de très nombreux cas de films de hantises mainstreams, les fantômes sont radicalement hostiles.
L'une des choses qui m'a frappée en terme de sous-texte, dans ce film, c'est l'amour que semble porter le réalisateur pour un Japon rural, laborieux et naturel. On nous fait l'éloge d'un village reculé dans les montagnes, à la communauté paisible, sur lequel on va jeter l'opprobre à des fins pécuniaires. Certains font l'analogie entre cette population et des rednecks à l'Américaine ; mais la nuance est de taille : dans un film comme Massacre à la Tronçonneuse, les personnages sont des rednecks, des ploucs conservateurs de la campagne. Dans Inunaki, les habitants du village ne sont des parias que par ce que les autres gens disent d'eux. On s'identifie de fait nettement plus à eux, on les perçoit beaucoup plus volontiers comme des victimes, et ainsi se dessine presque un message politique. Cet amour pour le Japon vert, on le ressent aussi à travers le générique de fin : des images prises au drone de forêts verdoyantes.
Je pense qu'il n'est guère besoin d'aller plus loin. L'environnement n'est d'ailleurs jamais vraiment mis en valeur quand Kanata évolue dans son lieu de travail ou dans la maison familiale. Il l'est par contre singulièrement quand celle-ci revient sur son histoire familiale (dans le jardin de son grand-père, ou dans le village bien-sûr), bien souvent pour initier un sentiment de paix.
D'ailleurs, Inunaki, c'est aussi un film sur le passé, et son impact sur le présent. Au début du film, Kanata ignore tout d'un passé familial que tout le monde semble connaître et vouloir passer sous silence. Malgré les efforts acharnés de certains personnages, les vieux fantômes (littéralement) refont surface, et la protagoniste chemine sur la route de la découverte. En ce sens, on retrouve ce trait de scénario qui fait que les premiers jeux-vidéos Silent Hill et l'honnête adaptation de Christophe Gans ont beaucoup de charme. Comme dans Silent Hill, Kanata va voyager à travers le temps, guidée par son propre héritage. Sa machine à remonter le temps est une cabine téléphonique, et puis il faut traverser un couloir, pour constater, et revivre l'histoire. C'est à travers ce récit familial, cette mémoire, que la justice et la paix peuvent être rétablis ; ce qui n'est pas sans rappeler un certain nombre de faits d'actualités sur le plan géopolitique. La thématique des minorités opprimées qui réclament justice à travers le travail de mémoire, c'est une réalité, que le film traite avec une certaine finesse. La narration prend le partie de ne pas donner raison aux "on-dit" ; et je le répète, si on constate que les villageois et leur descendants sont pour ainsi dire hors du commun, ils ne sont pas fondamentalement hostiles. On finit par penser qu'ils bataillent simplement pour protéger les leurs, et leur histoire.
D'ailleurs, vous savez ce qui raconte des histoires ? Le cinéma bien-sûr ! Et à ce titre, Takashi Shimizu joue délicieusement avec le medium cinématographique dans son film.
Le film commence avec une séquence aux airs de found footage... pour mieux s'en débarrasser quelques minutes plus tard. Et si les fameux experts de Shimizu expliquent cet abandon par le fait que l'auteur se moque des productions Américaines qu'il trouve superficielles, moi j'ai surtout eu l'impression qu'on nous donnait là une leçon de narration élémentaire. Dans de très nombreux found footage, on a l'impression que les personnages sont atteints d'une maladie que j'appellerais le "syndrome du p'tit con" : ils continuent de filmer sans aucun motif raisonnable, voire parfois précisément parce qu'on leur dit d'arrêter de filmer. Dans Inunaki, ce démarrage filmé par les personnages eux-mêmes est tout simplement cohérent : on comprend très vite que Yuma et Anaki font une espèce de vlog sensation, on pose donc le décor avec une situation crédible, et on fait au passage un clin d'Å“il à la culture d'internet qui est un vivier fertile pour les légendes urbaines. Peu après, quand sa petite amie est en danger, Yuma arrête de filmer et le film récupère le récit en vue objective tout simplement parce qu'en termes de cohérence, le personnage n'a aucun intérêt à rester la caméra au poing. Filmer ou agir il faut choisir, et pour moi la critique du film sur les productions occidentales, elle est là .
Une autre séquence intéressante, c'est quand Kanata se retrouve confrontée à une pellicule montrant les habitants du village, et le mal qui leur a été infligé. Les images sont dures, la vérité qui en découle douloureuse, Kanata les rejette donc dans un premier temps, mais alors qu'elle essaye de stopper le projecteur, celui-ci finit par projeter directement l'image sur elle. Des spectres finissent même par s'échapper de cette projection. Ici, on peut y voir une réaffirmation de l'héritage de Kanata : cette histoire que montre le film dans le film, c'est son histoire, inévitablement, une histoire qui vit en elle, qui émane d'elle. C'est par elle que la vérité doit surgir, que la lignée doit survivre, que la mémoire du peuple doit se transmettre. Cette responsabilité transparaîtra davantage dans le voyage temporel qui suivra, et la conclusion du film.
Le film incite d'ailleurs à faire la lumière sur les choses de façon assez limpide : l'exposition des personnages à plus ou moins de luminosité est porteuse de sens. Un décès en particulier pendant le film, qui je ne spoilerai pas, est rendu particulièrement angélique par l'usage de la lumière, les lampes torches sont des objets particulièrement révélateurs ; et à vrai dire, les intrusions de la magie du village se font davantage par la lumière que dans son absence. Si l'on prend par exemple la scène où la cabine téléphonique se remplit d'eau ; ladite cabine est l'un des points les plus vivement lumineux de l'image. Dans la scène où Kanata regarde la pellicule citée plus haut, le film brille d'une lumière flamboyante.
On ne peut pas nier qu'il y a du style, là -dedans, tout de même, et que ça va chercher nettement plus loin qu'un pauvre 5/10 sur des sites spécialisés.
On peut lire dans certaines chroniques que le film est incohérent, et là , je proteste : le film n'est pas incohérent, il est mystérieux. C'est sûr, pour beaucoup de gens, ne pas tout comprendre à la fin d'un film, ça peut agacer, mais dans ces cas là autant dire que David Lynch est un escroc. Je trouve que justement, ça fait du bien d'avoir un film d'horreur qui ose encore être une énigme. C'est un film qui vous pousse à élaborer des théories, qui vous incite à aller fouiller par vous même après visionnage pour éprouver votre perception, qui vous invite à le regarder une deuxième fois pour essayer d'affiner votre compréhension des choses. À l'opposé de l'incohérence, je trouve justement que les partis pris scénaristiques du film se justifient de biens des manières si tant est qu'on se creuse un peu les méninges. Je vous l'ai dis dès le début de cet article, j'ai beaucoup à apprendre de ce film. N'est-ce pas une bonne chose, qu'un film ait beaucoup à vous apprendre ?
On retrouve aussi pêle-mêle les blasés de l'horreur que plus rien n'impressionne, surtout quand le film est lent au niveau du rythme, et là encore je ne suis pas d'accord. Le film réussit à créer de la tension, par les rouages dont j'ai déjà parlé sur la suggestion, et le dosage des sursauts ; mais surtout, par sa bizarrerie. Le film n'est certes pas un objet de terreur traumatisant qui va hanter les nuits de générations entières, ce qu'on aurait d'ailleurs pu reprocher aussi à Silent Hill de Gans ; mais comme Silent Hill de Gans, le film a le mérite de nous raconter une histoire d'horreur solide où la tension est plus constante, là où beaucoup de productions vont plus adopter une structure en dent de scie (beaucoup de tension, pas de tension, beaucoup de tension, et ainsi du suite.) Alors forcément, si vous avez un peu sommeil à 22h, le challenge est peut-être trop grand, mais ça n'est pas la faute du film.
On pourrait toujours reprocher à "Inunaki" le jeu parfois bancal de ses acteurs, et le côté un peu série B de son image, mais ça n'est pas suffisant pour le bouder totalement, ou parler de "perte de temps".
"Inunaki, le Village Oublié", c'est donc mon conseil du jour, qui mérite sa seconde chance !