Parmi les sous-branches très spécifiques et codifiées du cinéma, les films sur la boxe sont bien souvent à mon goût. Bien-sûr, comme tout sous-genre il a son lot de films affligeants, mal fichus, ratés ; mais comme tout sous-genre également il rassemble un joyeux paquet de bonnes péloches, parfois divertissantes comme "Match Retour", parfois bluffantes comme "Raging Bull".
La production qui nous intéresse aujourd'hui est bien plus modeste que ces dernières, ce qui ne l'empêche pas, à mes yeux, d'être un chef d'Å“uvre du catalogue. Je vous invite à (re)découvrir Girlfight, premier film écrit et réalisé par Karyn Kusama.
Pour une première, c'est aussi le premier film de Michelle ("Badass") Rodriguez et Ray Santiago. Et là où les destins semblent presque liés, c'est qu'autant pour la jeune réalisatrice que les deux acteurs suscités, c'est probablement l'une des seules vraies expériences qu'ils aient eu dans la cinéma d'auteur. C'est en tout cas une énorme réussite pour Karyn Kusama, et pour son actrice principale.
Le film nous raconte l'histoire de Diana Guzman, une fille bagarreuse et désÅ“uvrée dans un Brooklyn peuplé de jeunes en quête d'avenir. En allant régler une dette de son père auprès d'un coach de boxe, Diana découvre le monde du ring, s'y jette à corps perdu, envers et contre tous les obstacles qui se dressent sur son chemin.
La première chose qui m'a saisi avec ce film, c'est la simplicité qu'il illustre, doublé d'une grande justesse. Beaucoup d'acteurs sont amateurs ou relativement peu connus, et là où dans beaucoup de film c'est une raison valable de s'inquiéter, le jeu des acteurs de Girlfight est très vrai. On s'identifie très facilement aux personnages car on a l'impression de les connaître. De nombreuses occasions auraient été propices au cabotinage (ébriété, romance...), mais l'équipe s'en sort toujours très bien, et force est de saluer l'exact mesure dans la mise en scène de ce qui est juste, ce qui est bon, ce qui est suffisant. C'est le genre de chose qui rend presque mélancolique quand on sait que peu de temps après Michelle Rodriguez devait tourner dans "Bloodrayne" d'Uwe Boll et Karyn Kusama devait tourner "Jennifer's Body". Les hauts et les bas d'une carrière...
Mais je digresse ! Le côté tranche de vie est également renforcé par l'usage économique de la musique : la bande originale est bonne, mais elle est aussi éparse. Beaucoup de scènes se déroulent dans le silence de la vie quotidienne, qui en réalité n'en est pas un. Le film nous montre un Brooklyn très vivant, qui ne se tait jamais vraiment, qui ne dort jamais vraiment.
Dans ce monde vivant mais terne, sans grand espoir, notre héroïne chemine dans la vie en quête d'identité. Elle est à deux doigts de se faire renvoyer parce qu'elle ne recule devant aucune bagarre. Et alors qu'elle se lance dans sa nouvelle passion, de nouveaux défis se présentent à elle. En outre, personne ne croit que la place d'une femme soit sur un ring. Ni son père, ni la plupart des coachs, ni les autres boxeurs. Même son propre frère, qui pourtant, lui, boxe contre son gré pour faire plaisir au paternel, ne voit pas d'un très bon Å“il l'arrivée de sa sÅ“ur au club. Passant beaucoup de temps à la salle, Diana se fait quelque peu délaisser par ses amies au lycée. Pour les professeurs, nul besoin de développer, elle n'est pas bonne élève. Même le garçon de qui elle s'entiche ne lui donne pas autant d'affection qu'elle est prête à lui donner. Diana est lancée dans une croisade à la conquête du respect et de la dignité.
C'est en ça que le film est beau sans commune mesure : c'est une histoire forte sur l'affirmation d'une féminité en dehors des normes sociales préscrites. Avec ses poings, et à force d'acharnement, Diana se met à exister aux yeux de tout le monde. Je vais me forcer à ne rien vous dire, mais comprenez qu'à mesure que son niveau s'améliore, elle va reprendre par la force toutes les connexions perdus, et faire terre les quolibets. Le film nous montre une véritable quête féministe, ne manquant jamais d'appuyer la féminité de sa protagoniste. Diana n'est pas un garçon manqué, c'est une fille qui cogne. Cette nuance est très importante car Diana est souvent confronté à des figures de bimbos : les personnages de Veronica et Karina sont tous les deux dépeints comme superficiels, avec peu de conversation. Malgré tout, leur plastique et leur rôle social les favorise dans l'environnement du film, et c'est contre cet archétype que Diana lutte, en jogging et sans maquillage.
Plus encore que se trouver elle-même dans sa discipline, Diana se trouve aussi son propre microcosme : le gymnase rassemble une communauté très diversifiée tant sur le plan ethnique que sur les attentes sociales. On retrouve pêle-mêle les jeunes timides qui apprennent à ce défendre, les champions déchus, les ambitieux, les petits bouts de choux qui s'occupent le weekend, les vieux briscards qui jouent aux cartes en refaisant le monde, les bourrins écervelés qui jouent les durs, les coachs désabusés. Des gens comme elle, et puis pas forcément. Elle trouve même en Hector, son entraîneur, une véritable figure paternelle que son père biologique est incapable d'endosser. Bref, tout un univers que notre héroïne apprivoise. Là où elle ne peut pas négocier dix dollars d'argent de poche à son père, on lui offre à sa première séance d'entraînement les clés d'un cagibi pour ranger ses affaires.
La boxe donne à Diana un espace qui lui appartient, de fait tant sur le plan concret que sur le plan moral. La boxe devient son moyen d'expression. Elle peut maintenant contenir sa colère pour rester au lycée, et la déverser sur les pads d'entraînement.
Et les combats alors ? ça donne quoi ? La encore, j'aime beaucoup. Les combats sont très intenses, bien rythmés et vraiment rapides. Pour quelqu'un qui n'y connait rien en boxe, il me semble que les combats dans Girlfight mettent vraiment en avant l'agilité des catégories "poids plume". Quelque part ce n'est pas si évident quand la plupart des films de boxe s'intéressent plutôt à des personnages plus lourds (Jake LaMotta était poids moyen, Rocky est présenté comme un poids lourds, au même titre que Donnie Creed, en dépit parfois du réalisme). Les esquives sont très vives, les ripostes énergiques. C'est assez impressionnant à regarder.
Une autre chose qui rend les combats très immersifs : Kryn Kusama choisit plusieurs fois de filmer les affrontements en vue subjective. En conséquence, l'objectif de la caméra se prend des baignes, ce qui participe à la nervosité du montage, et qui nous donne l'impression, pour peu qu'on soit attentif, que l'on prend des coups nous-mêmes, spectateurs. C'est très efficace.
C'est là mon conseil du jour, un excellent film de boxe, indépendant, honnête et inventif qui aura révélé deux femmes du cinéma à haut potentiel.