Dites-moi chers lecteurs, vous êtes-vous déjà demandés d'où venait le visuel de l'album "Chimera" de Mayhem ?... Non ?... Ma foi, je vais vous répondre quand même : le visuel de "Chimera", c'est un arrêt sur image d'un film aussi légendaire que méconnu, "Hà¤xan". Pour la peine, j'ai lancé l'album en fond pour écrire cette chronique.
Qu'est-ce donc à dire que ce "Hà¤xan" ? On a ici affaire à un film muet de 1922, produit et réalisé par Benjamin Christensen entre 1919 et 1921 ; pour un budget total de deux millions de couronnes Suédoises, ce qui en fait le film scandinave muet le plus coûteux de l'histoire. Un budget surprenant au regard du contenu, destiné à susciter la polémique en son temps ; assez pour mettre en péril son succès commercial. Il faut dire que le réalisateur, épaulé par Johan Ankerstjerne, avait une certaine folie des grandeurs.
À une ère où le cinéma est principalement porté sur l'adaptation filmique de récits littéraire, Christensen souhaite composer une oeuvre originale dont il aura nourri la narration, après avoir découvert une copie du Malleus Maleficarum, par moult lectures sur la sorcellerie et la chasse aux sorcières.
La cinématographie est grandiose à plus d'un titre sur Hà¤xan. Usant de nombreux trucages, entre superposition de bande et animation stop-motion, le film réussit à faire naître à l'écran la magie noire et les frasques du démon ; de telle sorte qu'encore aujourd'hui les images gardent leurs forces et leur malaise. Et le film est dérangeant, faites moi confiance. Rien ne nous est épargné : flagellations, tortures, maltraitance psychologique et autres sévices ne sont pas dissimulés. Même si bien évidemment le film apparaît comme très vieux, il n'en est pas moins glaçant, brutal. C'est d'ailleurs cette violence qui peut expliquer le fait qu'il ait peut-être moins marqué les mémoires collectives qu'un "Nosferatu" de Murnau ou un "Cabinet du Docteur Caligari" ; tous deux portés à la fois par l'élan d'un courant artistique entier entré dans les annales, mais surtout moins incisifs au visionnage. À noter aussi que le film a été principalement tourné de nuit, ou dans des espaces clos, en dépit des difficultés que cela impliquait à l'époque (bon nombre de plans de "Nosferatu", sorti la même année, ont été tourné en plein jour pour qu'on puisse y voir quelque chose), ce qui lui ajoute un petit supplément d'âme. La version teintée que j'ai eu la chance de voir est sombre, suffocante.
Le parti pris original dans lequel le film s'inscrit est la volonté de faire un docu-fiction. En effet, le film est particulièrement découpé par les cartons à textes, preuve d'une volonté d'expliquer les images. Les histoires illustratives que le film raconte sont également entrecoupés d'études de gravures et autres Å“uvres d'art montrant la représentation des sorcières à travers le temps. Christensen s'est donné pour mission de montrer le regard porté aux enchanteresses, leurs prétendus pouvoirs, mais surtout, les façons de les châtier. Cette dimension documentaire participe à rendre l'Å“uvre maléfique et malsaine ; lui rajoutant une parure de réalité aussi bienvenue que gênante.
Ceci dit, c'est un film qui ne manque pas de poésie dans ses représentations, et on peut comprendre le succès qu'il a eu auprès des artistes surréalistes. Les rêves fiévreux mis en scène à certains passages portent une vraie vision d'artiste exalté.
Le film m'a également surpris par ses prises de positions presque politiques, subtilement induites dans la première partie du film, et éclatantes dans la dernière partie. Il m'en coûte de ne rien vous divulguer sur la fin du film, mais j'ai été saisi par le progressisme de son propos, et la soudaineté avec lequel on comprend que tout le vidéogramme converge vers ce message final.
On comprend que l'horreur à laquelle on a été confronté les sept chapitres durant n'était pas gratuite, et c'est une découverte jubilatoire. Voilà de quoi fermer le caquet aux critiques de l'époque qui ont hurlé au scandale et à la perversion.
Certes, "Hà¤xan" a quelque chose d'une Å“uvre d'initié : tout le monde n'a pas forcément la niaque de s'asseoir pour regarder 1h40 de film muet. Malgré tout, c'est un incroyable chef d'Å“uvre du muet, qui mérite autant de considérations que le dantesque "Faust" de Murnau, et qui encore aujourd'hui est très impactant pour le spectateur. C'est un incontournable à réhabiliter auprès du public, qui a toute sa place dans votre culture d'auditeur de Metal. Vous aurez parfois le sentiment d'assister parfois à un spectacle prohibé, disgracié, un peu comme un concert de Belphegor.
On peut également, en toute simplicité, se réjouir d'une édition DVD signée Tartan Films qui compte plusieurs orchestrations, dont une, utilisée lors de la première du film à Copenhague en 1922, qui contient une réinterprétation de la "Danse Macabre" de Camille Saint-Saà«ns. Délectable.
J'espère que vous serez réceptifs, et si oui, vous souhaite un excellent visionnage.