Thanatomorphose d’Eric Falardeau

Canada

Film

Gore

Verveneyel

-

9 janvier 2024

" Slowly We Rot "

Vous savez qu’à Blastphème, notamment sur ce qui a trait à du cinéma ou de la littérature, on est toujours à la pointe de l’actualité. C’est pour cela qu’aujourd’hui on va discourir quelque peu sur un film de 2012 ; permettant ainsi aux dernières personnes qui n’avaient pas compris le sarcasme de ma première phrase de pouffer en chœur. Allez-y, on vous écoute !

 

Très bien, maintenant que tout le monde est à l’aise, parlons un peu de ce petit bijou de body horror Canadien qu’est Thanatomorphose d’Eric Falardeau.

 

Je précise « petit bijou » parce qu’à dire vrai ce ne semble pas évident pour tout le monde. Si l’on en croit les notes des sites d’info cinématographique, celles-ci sont assez tièdes quand elles ne sont pas à charge ! Le film divise.

 

Ainsi j’interviens pour vous témoigner comme cet obscur long-métrage m’a hypnotisé.

 

Pour commencer, de quoi parle-t-on ? Hé bien un beau matin, après une nuit pour le moins chaude, Laura se réveille avec une étrange tâche sur l’épaule. Petit à petit cette tâche va s’étendre, se multiplier, jusqu’à ce qu’on comprenne que l’on assiste au pourrissement vivant de Laura. Et c’est tout. On a un personnage qui, subitement, se tuméfie. N’oubliez pas d’accoler une étiquette plus que nécessaire « Pour public averti », et on a notre concept. Ça ne tient qu’à ça. Ou presque.

 

À vrai dire, cinématographiquement c’est déjà prometteur : on s’attend à voir quelque chose d’assez immonde, et notre curiosité est piquée par ce qu’on l’on pourrait bien voir. Thanatomorphose nous organise notamment un rendez-vous avec nos angoisses pour ainsi dire les plus freudiennes : chute des ongles, perte des cheveux ; terreur face à la perspective inéluctable de la mort. Un vocabulaire simple, mais efficace, car facilement identifiable.

 

Le film gagne aussi une certaine profondeur à travers deux éléments qui ouvrent de nombreuses portes à la réflexion : la relation de Laura avec les hommes, et sa sculpture. Mais une chose à la fois voulez-vous.

 

Dans le film, Laura semble avoir une vie affective pour ainsi dire difficile. Elle a assez peu d’amis proche, les deux personnes les plus centrales dans son cercle social sont des hommes avec qui elle couche. Parmi eux, l’un semble être un petit ami privilégié, bien que les termes de la relation ne soient pas clairs ; et l’autre est un jeune homme qui semble sincèrement aimer Laura, mais que celle-ci repousse à demi-mot, avant de le rappeler. Dans ce rapport confus, où se mêle une certaine jalousie du mâle premier pour son concurrent, le sexe semble être une espèce de ponctuation à travers laquelle Laura existe ; et pourtant le plaisir est le grand absent du film. Au coeur du métrage, on nous propose une scène de cauchemar où Laura se fait amputer d’une main par un chirurgien diabolique qui la donne à manger à ses deux amants nus, sauvages, animaux. Voilà le symbole qui finit d’expliquer tout. Ce triangle amoureux n’a ni trajectoire ni stabilité, et les désirs potentiels de Laura semblent totalement hors de l’équation tandis qu’elle se consume ; si ce n’est une envie maladive d’être quelque chose, et d’avoir une certaine forme de contrôle sur les choses.

 

Ce contrôle, c’est ce qui lui échappe sur l’ensemble du film, à la fois à travers le processus irréversible de décadence qui s’opère, mais aussi dans le passe temps de notre protagoniste. Laura élabore une sculpture en argile durant certaines scènes du film. Du point de vue du spectateur comme de celui de l’héroïne, cette création n’avance pas, reste une étrange masse informe dont on ne saurait trop deviner ce qu’elle pourrait devenir finie. Cette immobilisme, cette inefficacité, frappe Laura, et finit par déclencher sa colère. Elle enverra donc valser cette œuvre, sous le coup de la rage.
Le film, de mon analyse toute personnelle, nous montre une femme qui subit l’intégralité de sa vie, sans véritable issue ; avec des procédés narratifs que je trouve assez futés !

 

Mais hélas, le film n’a rien d’une production hollywoodienne faite pour aider le spectateur à se sentir en confiance. À plus d’un titre le film à des airs de rejeton difforme de la nouvelle vague : rythme lent, peu d’action, dialogues monocordes. Une bande originale très sobre ponctue des moments de silence. Et forcément, avec une péloche comme ça, on peut comprendre et excuser que des gens quittent le train en marche.

 

La qualité très amateure de l’image a pu aussi rebuter les plus réfractaires : on a parfois l’impression que le film, du au de ses 40 000 dollars Canadiens (ce qui correspond à peu près à la moitié du budget du Projet Blair Witch, c’est vous dire si c’est peu!), est tourné au caméscope. Je soutiendrais pourtant que ça lui donne un charme de plus. Cette image pleine de bruit rajoute à la décrépitude ambiante, contribue à nous faire ressentir le sordide et l’isolement de cet appartement miteux où tout se passe. Les couleurs sont plus ternes, et pourtant tout ce qui est blanc a l’air crasseux. Certains resteront peut-être de marbre face à certains effets visuels aux ficelles parfois épaisses, mais pas moi ! J’irai presque jusqu’à dire que Thanatomorphose est un film Grunge (pensez In Utero de Nirvana) : c’est insalubre, halluciné, avec un soupçon de réflexion sociale subtile grimée sous des frasques grotesques.

Dans une moindre mesure, ce film m’a fait un peu l’effet d’un Eraserhead de Lynch : le sentiment tenace d’avoir vu un objet étrange, qui donne envie de se racler quelque peu la cafetière pour trouver du sens.

 

En préparant cette chronique j’ai appris que le scénario était né alors que le réalisateur Eric Falardeau écrivait une thèse sur les fluides corporels dans le cinéma gore et pornographique, ce qui me donne envie d’aller chercher des interviews de celui-ci, car j’imagine volontiers que de nouvelles pistes d’interprétation doivent s’ouvrir avec ne serait-ce qu’un soupçon du regard avisé de quelqu’un qui a composé une thèse de doctorat sur la thématique. À vrai dire c’est peut-être ça qui a aussi embêté les gens : peut-être que le film est porté par le sens profond qu’a voulu lui donner son auteur, plus que par une intrigue ou la volonté de divertir. Ce n’est pas grave, ça m’intrigue quand même, et j’espère bien que vous autre, ça vous intriguera aussi !