La contrebasse - Patrick SàœSKIND

Allemagne

Roman

Evil Ted

-

1 août 2023

" Patrick SàœSKIND, un nom très souvent, pour ne pas dire trop souvent, associé au roman « Le PARFUM », un livre dans lequel le lecteur suit les pas de Jean Baptiste Grenouille, un serial killer dont le mobil est à  chercher du côté de l'odorat, des odeurs (notamment des odeurs corporelles) et de la reconnaissance (no spoil, je vous invite à  (re)découvrir ce chef d'Å“uvre de la littérature). Pourtant l'écrivain allemand a écrit d'autres Å“uvres, « LE PIGEON » (Die Taube), une pièce de théâtre « LA CONTREBASSE » (Der Kontrabass) dont il est question dans cet article. La reconnaissance est également une thématique centrale de cette dernière, qui, pour la petite histoire, a été portée sur les planches françaises par Jacques Villeret au début des années 90, et plus récemment (2014) par Clovis Cornillac. En ce qui me concerne, je trouve que Jacques Villeret incarnait mieux le joueur de contrebasse, notamment par rapport à  l'idée que l'on se fait de cet antihéros, tant physique que psychologique, au fil des pages. "
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Patrick SàœSKIND, un nom très souvent, pour ne pas dire trop souvent, associé au roman « Le PARFUM », un livre dans lequel le lecteur suit les pas de Jean Baptiste Grenouille, un serial killer dont le mobil est à  chercher du côté de l'odorat, des odeurs (notamment des odeurs corporelles) et de la reconnaissance (no spoil, je vous invite à  (re)découvrir ce chef d'Å“uvre de la littérature). Pourtant l'écrivain allemand a écrit d'autres Å“uvres, « LE PIGEON » (Die Taube), une pièce de théâtre « LA CONTREBASSE » (Der Kontrabass) dont il est question dans cet article. La reconnaissance est également une thématique centrale de cette dernière, qui, pour la petite histoire, a été portée sur les planches françaises par Jacques Villeret au début des années 90, et plus récemment (2014) par Clovis Cornillac. En ce qui me concerne, je trouve que Jacques Villeret incarnait mieux le joueur de contrebasse, notamment par rapport à  l'idée que l'on se fait de cet antihéros, tant physique que psychologique, au fil des pages.
L'histoire, ancrée dans le monde réel, est la suivante : un musicien, contrebassiste, se lance dans un monologue où il nous partage, pour ne pas dire confesser tant les rapports sont complexes et intimes, les rapports fusionnels qu'il entretient avec cet instrument « massif » qui prend beaucoup (trop) de place dans sa vie. Au fil de l'eau ce monologue très personnel s'oriente vers une séance de psychanalyse où l'ombre de Sigmund Freud n'est souvent pas très loin. Cette contrebasse, il en parle comme on en parlerait d'une compagne vivant sous le même toit, mais pour laquelle les sentiments se sont détériorés au fil des années (« Quel instrument hideux ! Je vous en prie, regardez-la. Non, mais regardez-la ! Elle a l'air d'une grosse bonne femme, et vieille. Les hanches beaucoup trop basses, la taille complètement ratée… » ). Elle perturbe sa vie sociale (« Une contrebasse, c'est plutôt, comment dire, un embarras qu'un instrument »), l'isole et l'exclut en lui volant la vedette (« Quand vous avez des invités, elle se met tout de suie à  faire l'intéressante. On ne parle plus que d'elle ») et le rend comme impuissant face à  cette présence qui s'impose massivement d'elle-même. Cette impuissance l'affecte également sur le plan intime en devenant même castratrice pour le personnage (« Quand vous voulez être seul avec une femme, elle est là  qui surveille tout. Si les choses se précisent….elle est là  qui regarde. Vous avez toujours l'impression qu'elle rigole : elle rend l'acte sexuel ridicule »).
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Sà¼skind a la très bonne idée de nous dépeindre également les relations du musicien avec le reste de l'orchestre et son entourage personnel. Celui-ci nous apparait alors comme souffrant cruellement d'anonymat alors qu'il considère son instrument comme fondamental et incontournable (« un orchestre n'est qu'un orchestre qu'à  partir du moment où il y a une contrebasse. Il existe des orchestres sans premier violon, sans instruments à  vent, sans percussions, sans tambours ni trompettes, sans tout ce que vous voulez. Mais pas sans basse »). Il en profite également pour reprocher et égratigner les grands compositeurs classiques pour n'avoir pas assez mis en avant et su tirer le meilleur de cet instrument. En faisant un parallèle grossier et exagéré avec le monde du metal, on pense alors aux nombreux clichés sur les bassistes. Ils sont malheureusement parfois moqués et caricaturés comme étant la dernière roue du carrosse, des guitaristes frustrés et limités techniquement (4 cordes c'est plus facile à  gérer que 6), celui que l'on entend jamais dans le mix (sur CD et en live), c'est celui qui est toujours dans l'ombre sur scène (les lights l'évitent bizarrement), c'est le seul mec et accessible du groupe car tout le monde s'en fout etc… Le (contre)bassiste fait partie de la section rythmique : il soutient l'ensemble en se fondant dans la masse, ce qui fait souffrir le personnage de Sà¼skind qui aimerait être remarqué.
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Il est évidemment très facile de prouver le contraire : Lemmy de Motà¶rhead et Phil Lynott ont été des leaders charismatiques, Steve Harris est la tête pensante d'Iron Maiden (tout comme Nikki Sixx dans Mà¶tley Crà¼e), Gene Simmons a écrit de très nombreux hits, Trujillo était impressionnant dans Infectious Grooves, Cliff Burton est adulé par bassistes et guitaristes, John Myung est épatant dans Dream Theater, Les Claypool a un jeu très particulier etc… Et dans la pièce de théâtre, le personnage nous montre de nombreuses techniques de jeu qui prouve bien que l'instrument nécessite des heures et des heures d'apprentissage. Son instrument de travail (d'ailleurs « travail » viendrait de « tripalium » un instrument de torture) est un rapport de force constant («jamais on ne verra un enfant jouer de la contrebasse »), il ne semble plus l'aimer du tout (« Non je n'ai pas l'amour de mon instrument »), d'ailleurs il est devenu contrebassiste à  17 ans (presque adulte), par accident et « par hasard « («je ne me suis pas retrouvé contrebassiste parce que je l'avais choisi »).
Mais Sà¼skind prend le parti de rester sur les ressentiments du musicient et appuie sur ses conflits intérieurs. Ce travailleur de l'ombre au service du collectif-orchestre, éprouve et souffre d'un manque et un fort besoin de reconnaissance « La contrebasse est de très loin l'instrument le plus important de l'orchestre, ni plus ni moins. A le voir comme ça, on ne dirait pas ») qui se manifeste tant dans sa vie professionnelle que dans sa vie personnelle. Le (contre)bassiste éprouve beaucoup de rancÅ“ur envers les autres musiciens notamment les violonistes (parallèle évident avec le guitariste) : « De quoi aurait-il l'air, notre Konzertmeister, tout premier violon qu'il est, s'il devait avouer que sans la contrebasse il se retrouverait le bec dans l'eau ? Symbole dérisoire de sa vaniteuse superfluité ?! De quoi aurait-il l'air, je vous le demande ? De pas grand-chose.»). Cette rancÅ“ur le rend envieux d'autres musiciens, notamment envers les violoncellistes tant sur le plan intime que musical : « un violoncelle, c'est moins encombrant qu'une basse. Cela ne prend pas autant de place, entre deux êtres qui s'aiment. Ou qui voudraient s'aimer » (toute relation lui semble vouer à  l'échec) ; « Et puis il y a autant de pages qu'on veut pour violoncelle solo (côté prestige, maintenant) : le concerto pour piano de Tchaïkovski, la quatrième symphonie de Schumann, Donc Carlos, etc…).
Finalement l'orchestre est à  l'image de la société avec des codes, une hiérarchie avec « ceux qui se tapent le sale boulot et sont méprisés ». Le tout avec un certain fatalisme (« Mais dans l'orchestre, il n'y a pas d'espoir »). Pourtant il n'est pas jaloux de ses collègues car il sait ce qu'il vaut (« La jalousie est un sentiment que je ne connais pas car je sais ce que je vaux ») et place tous ces ressentiments au niveau de la notion de justice et d'injustices (comme dans « le monde »). Je pense qu'en tant que lecteur on peut quand même légitimement en douter un peu, surtout qu'il argumente cela en prenant exemple sur les applaudissements et ovations reçues par les différents musiciens de l'orchestre (reconnaissance est-tu la ?! ).
La fin de la pièce est plus centrée sur l'érotisme, le sentiment amoureux et les frustrations qui en découlent. Le personnage s'emporte de plus en plus fréquemment, et pas seulement contre les membres de l'orchestre (les juristes, comptables, préparateurs en pharmacie…) et s'excuse auprès des lecteurs/publics. Il nous partage aussi son sentiment de révolte et sa volonté de crier durant une représentation pour montrer qu'il existe qu'il vit, qu'il aime, et ce quelles qu'en soient les conséquences. Il nous invite d'ailleurs, en conclusion de son monologue, de lire la presse du lendemain pour voir s'il a eu le courage de ses paroles (ce dont le lecteur peut encore légitimement douter). Tout comme Sà¼skind, on a finalement de l'empathie et de la compassion pour ce malheureux qui est lui-même bourreau et victime de ses pensées négatives. Je pense que l'auteur a volontairement grossi le trait du musicien dans toute son excessivité (une sorte de caricature) afin que les lecteurs puissent comprendre en partie son point de vue et ainsi le rendre un peu plus sympathique qu'aigri et envieux.
Ami(e)s musicien(nes), et pas seulement les bassistes, avez-vous une relation particulière avec votre instrument ? Empiète-t-il autant sur votre vie personnelle ? J'espère en tout cas avoir suscité la curiosité de lire/relire cette pièce que je trouve très réussie et qui ne comprend que 90 pages.
Bonne lecture.
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