Je ne suis pas expert en Warhammer. Comme ça c'est fait. J'arrive dans cet univers un peu par la petite porte, mais non sans intérêt.
Sachez que j'aime les jeux qui ont un univers, ceux où les actions possibles ont une cohérence narrative. Et si je n'ai vraiment d'expertise dans aucun d'entre eux, j'aime bien creuser un peu. Par la force des choses, j'ai donc suffisamment de billes pour pouvoir écancher en société sur les lore de Warcraft et de Magic the Gathering.
J'ai découvert Warhammer 40k à travers le jeu PC Dawn of War, que j'avais apprécié ado, sans trop comprendre les tenants et aboutissant de l'univers, juste pour l'amour des jeux de stratégies à déplacement d'armées, et pour le goût de faire pan-pan avec des gros flingues lasers sur des orcs porteurs de gatlings.
C'est en redécouvrant récemment ce jeu que je me suis dit qu'il fallait que je me penche plus profondément sur l'univers du jeu, qui, on le rappelle, est tout d'abord un jeu à figurines produit par Games Workshop.
Quelques vidéos de Planet Wargames plus tard, j'achète mon premier roman Warhammer 40k, celui-ci même qui nous intéresse aujourd'hui, et j'attaque mon exploration, là encore par des chemins détournés.
Parce que Lignées Sanglantes, c'est l'un des romans d'une collection toute belle toute neuve intitulée "Warhammer Crime", qui met en scène l'univers de Warhammer loin des champs de bataille, dans des intrigues policières.
Point de bolter lourd dans ces pages, ici on suit les déambulations d'Agusto Zidarov, probator de l'Imperium (une sorte de détective juge, un peu comme Judge Dredd, en moins anonyme), qui est chargé de retrouver le fils d'une famille richissime, dans une mégalopole tentaculaire en pleine décadence.
Ce qui fait d'abord le charme de ce roman, c'est qu'on retrouve l'ambiance délicieusement noire d'un Blade Runner : il ne fait jamais beau à Varangantua. La ville alterne entre la morsure des pluies acides et un soleil de plomb, rotant dans l'atmosphère de la ville une chaleur étouffante. Pour développer sur ce vocabulaire sensoriel, Varangantua se ressent à la lecture par ses relents : tout y pue, exsude, grouille. Tout respire l'inconfort, pour bâtir une atmosphère stressante et lugubre.
L'exercice de la loi dans cet environnement est quelque part voué à l'insatisfaction. Tous les probators et sanctionnaires parlent à un moment de leur mission, comment ils pensent nettoyer la ville de sa saleté, tout en sachant qu'il n'y arriveront pas, devront se compromettre, devront fermer les yeux.
Et pourtant, Agusto Zidarov ne lâchera rien. Tant pis s'il faut frôler la mort un paquet de fois, se frotter à des bourgeois véreux, s'infiltrer chez des cartels sanguinaires, espionner bien au-delà de ce qui est autorisé, et assurer son rôle de père en rentrant chez soi.
On vit dans cet aventure le zèle de notre protagoniste, la pression qu'il subit, et l'épuisement qui le gagne progressivement. Zidarov est un anti-héro digne du shérif du "Train Sifflera Trois Fois", dans sa détermination à aller au bout de l'affaire bien qu'il n'y gagne rien, voire même qu'il y perde.
J'ai trouvé intéressant la façon dont la technologie participe à rendre l'univers oppressant et épuisant : grâce à une technologie dite augmentique, des implants sont fait pour que les probators aient des ordinateurs intégrés directement à leurs iris. En résulte un monde qui va d'autant plus vite sur certains échanges, mais se fait de plus en plus oppressant. Zidarov n'est pas en paix dans sa propre tête, les messages affluent constamment, les appels sont légions, les informations bombardent en permanence.
C'est un livre pour vous si vous aimez les intrigues où les forces de l'ordre ont des relations délicates avec leurs interlocuteurs : de mèche autant avec les riches donateurs qu'avec les cartels, les actions menées doivent être bien choisies pour ne pas rompre une paix contractuelle fragile et transformer le chaos déjà présent en énorme guerre civile. L'enquête de Zidarov est ponctuée par tout un tas d'obstacles, de hayons qui s'abaissent, contre lesquels notre probator va devoir trouver des stratégies de contournement. Vous trouverez aussi dans les pages du roman des personnages complexes, inscrit de différentes manières dans les rapports de force, et dont les personnalités sont impactées par ceux-ci.
Le récit s'apprécie même avec une connaissance mineure du lore de Warhammer 40k, les quelques mots jargonnants sont expliqués en toute fin du livre dans un (court) glossaire, et il permet en même temps d'avoir quelques aperçus d'enjeux majeurs de ce monde, du point de vue de civils qui ne sont pas directement liés aux guerres stellaires : la fille de Zidarov, Naxi, veut rejoindre l'Astra Militarum (ou la garde impériale), et on nous fait comprendre fugacement en quoi, malgré la propagande, c'est une mauvaise idée. Plusieurs personnages accusent Zidarov de ne pas avoir la foi, sans se douter qu'il la porte sous une forme différente de celle vendue par l'Adeptus Ministorum, car il doit le cacher à tout prix. Autant de petit détails qui ne gêneront pas la lecture du néophyte mais qui pourront donner matière à explorer.
Une entrée en matière de bon goût, où le côté enquête et roman noir n'est pas anecdotique, avec un dénouement particulièrement satisfaisant, de vrais moments haletants, un style immersif ; bref, de bons moments de lectures.