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Etant avant tout un auditeur ayant biberonné aux musiques que j'appellerais "organiques" car produite par des instruments, je me dois avant toute chose de dire que je suis loin, très loin d'être un expert en musique électronique expérimentale. Pour cette raison je me garderai d'étiqueter l'album dont je vais vous parler, et mon enthousiasme sera à considérer avec une certaine réserve; étant donné que ce qui me paraît original ne l'est en réalité peut-être pas.

En 2018 je suis me suis rendu pour la seconde fois au festival Tchèque Brutal Assault, festival que je me permets de saluer au passage pour la qualité constante de son affiche, la diversité musicale qu'il arbore bien que gravitant autour de la violence et la noirceur, enfin, le sentiment général de confort et de bien-être qui s'y ressent dans le quotidien du festivalier. Hé oui chers lecteurs, c'était beau l'époque où on pouvait aller en fest l'été !

Or l'un des éléments qui contribue à mon amour pour ce festival et mon admiration pour son équipe organisatrice, c'est la présence du Vault Ambient Lodge, un espace visiblement de détente où des matelas jonchent le sol, où à toute heure de la journée la lumière est tamisée, et où flottent en permanence des vapeurs d'absinthe. Et c'est dans ce cocon enivrant que se trament des concerts de musique ambiante, bruitiste, Post-Rock, expérimentale, pour vous plonger pour de bon dans la transe. Parmi les invités de cette année, on retrouvait donc le projet She Spread Sorrow (projet solo d'Alice Kundali), venu tout droit d'Italie pour défendre son nouvel album, Midori, sorti en mars 2018 dans le catalogue du label Britannique Cold Spring.

Avant même d'attaquer l'écoute de Midori, un rapide coup d'oeil sur le visuel de l'album, laisse entrevoir quelques détails annonciateurs: une police de caractère blanche, très sobre, anguleuse, sans sérif; Alice Kundali, tête baissée, en plan rapproché, dont l'image semble à la fois se démultiplier et s'effacer, le tout avec pour toile de fond un papier peint vieilli dont les couleurs ont perdu tout éclat. C'est froid, c'est morne, c'est décrépit.

Et une fois l'album lancé, écouté, digéré, le mystère n'est pas dévoilé pour autant. Midori, c'est une suite de morceau vaporeux, dans lequel les notes se fondent les unes dans les autres, pour créer des nappes, des souffles, des vibrations. She Spread Sorrow n'a jamais eu peur d'attaquer l'auditeur, de le saisir par les tripes et parfois même de lui faire mal; on retrouve d'ailleurs dans Midori ce qui m'avait déjà frappé avec le titre "Red Rumspriga", sorti en 2015, premier titre que j'ai écouté du projet: des sons stridents occasionnels, entre larsen et acouphène, des basses saturées, de nombreux échos lugubres. Le rythme des morceaux (allant de 4:56 à 9:22 en termes de longueur) est rarement perceptible, parfois produit par d'étranges sons d'objets métalliques, soit par le rythme des voix. Car voix il y a en effet, de véritables paroles même; qui petit à petit nous dévoilent une histoire macabre, plongée dans l'angoisse, la peur, la quête d'identité, l'errance, mais aussi le soulagement et la libération; le tout tournant autour d'un personnage, d'une entité: Midori.

Qu'en dire ? Pour moi, que c'est fabuleux. En s'éloignant autant de ce que l'industrie musicale mainstream fait le plus, She Spread Sorrow s'approche au plus près par la force de sa musique d'émotion véritables. Ecouter l'album Midori dans la pénombre, au casque ou avec de bonnes enceintes, c'est se garantir un voyage psychologique et une réponse physique aux stimuli auditifs ainsi envoyés. Bien qu'effectivement une telle oeuvre implique une écoute active et attentive, ce qui était moins le cas qu'avec les artistes dont j'ai l'habitude de vous parler, celle-ci en vaut largement la chandelle. Je pense notamment que les amateurs de films d'horreurs qui lisent cet article se retrouveront dans l'ambiance de l'album, qu'on imaginerait presque accompagner certains films. On peut y ressentir une angoisse véritable tout autant qu'une profonde tranquillité. Midori pousse à l'introspection au sens large, tant pour celle qui vous prend à une heure du matin quand vous êtes insomniaque et qui fait resurgir tous vos souvenirs douloureux, que celle qui vous amène vers le lâcher prise.

Pour ajouter une pierre de plus à l'édifice expérimental, Alice Kundali prend soin de créer ça et là des clips pour ses morceaux, souvent en noir et blanc, où se mêlent différentes images superposées, des ralentis sensuels, étrangement saccadés, et de nombreux regards. Tout cela bien-sûr, je vous le recommande et plutôt deux fois qu'une!

À noter que tout le contenu de She Spread Sorrow est disponible sur le bandcamp de l'artiste, le bandcamp du label, ainsi que sur youtube.

Transcendance par l'Angoisse : She Spread Sorrow - Midori