SOUND OF METAL (Darius Marder).

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Evil Ted

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1 août 2023

" Review du film « SOUND OF METAL » de Darius Marder (The Place Beyond The Pines…). Attention aux nombreux spoilers ^^. "
La hantise de tous les musiciens : devenir subitement malentendant/sourd. Dans ce film inspiré d'un docufiction « Metalhead » qui n'avait pas pu voir le jour, on suit Ruben Stone un batteur qui se réveille subitement avec des soucis d'acouphènes (problèmes qui vont très rapidement empirer). A titre de comparaison, ce film est totalement différent de « WHIPLASH » qui suivait le quotidien d'un jeune batteur de jazz harcelé/humilié par son professeur. D'ailleurs, je le trouve même plus immersif car le réalisateur va, en plus, jouer avec les/nos sens.
Un petit mot sur les acteurs : on reconnait Riz Ahmed (Venom, Rogue One, Les Frères Sisters…il a porté des implants auditifs durant le tournage pour entendre le moins possible, appris la langue des signes et la batterie) et Olivia Cook (Ready Player One, The Signal…). Quant au réalisateur, il s'agit de Darius Marder connu pour avoir réalisé « THE PLACE BEYOND THE PINES » (Ryan Gosling, Eva Mendes…).
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Le film commence bruyamment, en plein concert, la caméra collée au plus près du batteur. On ressent avec lui la musique, l'adrénaline, les vibrations, l'intensité, les frissons d'une performance live. Son instrument est d'autant plus important dans l'identité du groupe qui évolue sous la forme d'un duo avec une chanteuse-guitariste (Lou) qui s'avère être sa compagne. Ils sont en pleine tournée, leur premier album va bientôt sortir … en résumé ils sont à  un tournant de leur toute jeune carrière.
Le lendemain matin, l'ambiance est beaucoup plus contrastée avec un silence dans le van/tour-bus : le jeune couple se réveille en douceur avec les bruits familiers du quotidien (le mixeur, la cafetière, la musique qui sort du poste avec une petite danse improvisée pour le couple). Les sens du téléspectateur sont pleinement stimulés (visuellement avec des gros plans et auditivement avec des bruits bien mis en avant) ; Marder nous prépare à  mettre nos sens en éveil tout au long des 2 heures.
Au cours d'un trajet entre 2 dates de concert, Ruben parle de son père qu'il n'a jamais connu à  Lou et qu'il imagine comme Jeff Goldblum dans « LA MOUCHE ». La référence n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd (facile ^^), car effectivement il va être question de changement, de « métamorphose » en quelque sorte.
Lors de l'installation du stand de merchandising, Ruben est soudainement frappé d'acouphènes et entend très mal les conversations qui l'entourent (on est, comme lui, dans une sorte de bulle où l'on distingue mal ce qui est dit). Il va cependant les ignorer et participer au concert. Pourtant, déjà  dans la manière de filmer du réalisateur, on ressent une gêne chez le batteur. Ses craintes se confirment le lendemain au réveil : il n'entend plus les fameux bruits familiers du quotidien précédemment cités. Sans le dire à  Lou, il se rend en urgence dans une pharmacie, et là , la « magie du réalisateur opère » : ce dernier arrive à  rendre audible ce qui devrait être en principe inaudible. Par un jeu de caméra, Marder nous fait suivre les échanges entre les 2 personnages : on entend alors très bien du côté du pharmacien, par contre on entend très mal du côté du drummer. Le pharmacien l'informe, non sans mal, qu'il a évalué sa capacité auditive à  02/10 et de ce fait qu'il doit aller en urgence voir un spécialiste pour en savoir plus (il lui a pris un rendez-vous).
L'ORL confirme le diagnostic alarmant : après une batterie de tests (facile aussi ^^), 28% des sons sont entendus via l'oreille droite et 24% via l'oreille gauche (et ce qu'importe le volume). L'implant est la seule solution pour retrouver une ouïe correcte, mais l'opération est couteuse (estimée entre 40 000 et 80 000 dollars, aucune aide/prise en charge…pour information, l'action se passe aux USA), d'autant plus qu'il va encore perdre en qualité auditive dans les prochains jours. Enfin, le médecin lui recommande de cesser toute exposition aux sons très forts car toute l'audition perdue ne reviendra jamais. Pourtant, dans un premier temps, Ruben n'écoute pas le spécialiste et donne un concert le soir-même. Inévitablement, cela se passe très mal : il s'arrête et s'échappe en plein concert. Il est alors obligé de dire la vérité à  sa compagne : il « n'entend plus rien ». J'ai été contraint de monter le volume pour entendre distinctement ses quelques mots car ils sont prononcés de son côté ; le réalisateur continue à  nous mettre à  la place de son acteur principal. Le rendu est bluffant.
Lou, qui est également sa manager, décide alors de stopper la tournée. De fait ils sont amenés à  faire des ajustements notamment sur leur mode de fonctionnement pour communiquer (elle écrit et il répond oralement), ce qui va être inévitablement source de tension et d'incompréhension entre eux. D'ailleurs, on commence à  remarquer que sa copine n'est pas dans une grande forme « émotionnellement parlant ». Un proche leur conseille de rejoindre un groupe de soutien vivant en communauté dans un autre état ; ils décident de s'y rendre pour aider Ruben. Et là  j'ai été choqué par le fait que Ruben conduit tout le trajet. En effet, on connait tous l'importance de la vigilance auditive derrière le volant (le visuel n'étant pas suffisant). Mais cette attitude correspond finalement au personnage qui n'accepte pas ce qui lui arrive. Le réalisateur en profite pour jouer sur les contrastes : il règne un silence pesant dans le van, tandis qu'à  l'extérieur c'est le brouhaha total (j'avais augmenté le volume, je peux vous dire que j'ai limite sursauté lorsque l'extérieur était filmé lol).
Dans cette communauté, Ruben pourra notamment apprendre la langue des signes, les trucs et astuces du quotidien qui aident les malentendants à  se faire entendre/comprendre/voir (l'astuce des lumières dans une pièce par exemple). Lors de sa rencontre avec le responsable du site (qui a perdu l'ouïe lors de la guerre au Vietnam), on apprend l'addiction de Ruben aux drogues et notamment à  l'héroïne. Ce dernier le prévient : ici on solutionne les problèmes dans la tête, pas ceux au niveau des oreilles (Ruben n'a pas l'air convaincu). La seule condition pour qu'il reste dans ce lieu et que Lou doit partir pour que la thérapie/l'accompagnement commence. Mais sans surprise, il refuse et le couple part comme il est venu. Mais le lendemain matin, dans un excès de violence de Ruben (il casse notamment le poste-radio), Lou prend peur. Elle décide alors de rentrer seule rejoindre son père et enjoint Ruben à  retourner dans la communauté. Ruben a peur d'être abandonné, tente une sorte de chantage affectif, mais elle ne lui laisse par le choix. Il est donc seul désormais.
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De retour dans la communauté, Ruben va devoir réapprendre à  vivre, à  tenter de surmonter sa surdité et à  redevenir une personne à  part entière selon ses propres critères en raison de la perte de l'un de ses sens (ce qui est une erreur comme lui feront savoir, à  juste titre, ses nouveaux compagnons tout au long de son séjour). Le premier repas à  table est un moment sensoriel intense du film : du côté des membres du groupe de soutien on n'entend presque rien, mais dès que le réalisateur prend un point de vue/d'écoute extérieur c'est une véritable cacophonie (ce qui est assez logique car ils n'entendent pas le bruit qu'ils émettent).
La communauté dispose d'une école, il va donc apprendre tout cela avec des enfants (ce qui va faciliter grandement son apprentissage). Commence alors un véritable travail d'introspection et d'acceptation (travail également demandé par le responsable, qui fait preuve de beaucoup de bienveillance à  son égard, et qui l'incite à  écrire des mots sur ses maux plutôt que de faire des petits travaux/tâches ménagères). Petit à  petit Ruben se fait une place, il est apprécié et son rôle est valorisé. On sent le personnage panser ses plaies et revivre peu à  peu en reprenant goût aux petits plaisirs de la vie (jouer au loup/trappe-trappe avec les enfants ; les succès de l'apprentissage d'un nouveau mode de communication…). La scène du toboggan, avec les sons que l'on entend et ressent lorsque le personnage tape sur la pente glissante, fout les frissons (encore une fois, les stimuli font mouche).
Mais les démons ne sont jamais loin et en découvrant une vidéo de Lou chantant à  Paris, Ruben pète un câble et prend à  nouveau de mauvaises décisions : en cachette il vend tout son équipement ainsi que son van pour payer l'opération de pose d'implant. Il n'informe personne de sa décision, mais il va se retrouver contraint de l'avouer au responsable car il a besoin d'argent pour récupérer son van (= sa maison) et d'un hébergement pendant encore 4 semaines avant l'activation de l'implant. Ce dernier, très déçu, se sent trahi dans sa confiance et refuse, par principe (on peut le comprendre dans un tel lieu d'entraide et de solidarité) de l'aider en l'invitant à  quitter les lieux car ici « ne pas entendre n'est pas un handicap, ni quelque chose à  réparer ». Ruben doit assumer ses choix, la pleine responsabilité de ses actes car un tel comportement peut fragiliser l'équilibre de la communauté (surtout chez les jeunes qui le prenaient de plus en plus pour exemple).
Le voici donc à  la rue. Les 4 semaines passent, il se rend à  l'hôpital pour faire activer l'implant auditif. Sans surprise le résultat n'est pas celui espéré (il semble même en souffrir). Il part alors sur Paris pour retrouver/récupérer Lou et une aide financière pour racheter le van (le père de Lou étant très aisé financièrement). Là -bas il tombe nez-à -nez avec le père (joué par Mathieu Amalric). Ce dernier l'informe que Louise va très bien, qu'elle semble s'être remise du suicide de sa mère, qu'elle a fait la paix avec lui (surement suite à  un divorce), et qu'il le remercie d'avoir veillé en quelque sorte, sur sa fille, à  sa place (mais on sent qu'il n'approuve pas tellement cette relation). Enfin, sa petite-amie fait son apparition un peu plus tard, et effectivement elle ne ressemble plus à  la « Lou » paumée et fragilisée du début de film. Les retrouvailles ne sont pas aussi fortes qu'on aurait pu l'imaginer, elle a changé et le choc est rude pour Ruben. Ce choc va alors se matérialiser du côté de téléspectateur lorsque cette dernière chante, accompagnée par son père au piano, une chanson de variété française qu'il avait écrite pour la mère de Lou. L'implant de Ruben fait des siennes : le son est strident, violent, douloureux pour lui comme pour nous.
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La rupture/séparation sera confirmée plus tard dans la nuit lorsque Ruben réalise par lui-même que Louise va bien mieux sans lui. Il s'échappe alors au petit matin, pendant qu'elle dort encore. Dehors, l'implant le fait encore souffrir : cette fois il entend tout, mais amplifié et beaucoup trop fort (le réalisateur nous fait évidemment ressentir cette agression auditive). Il décide alors de retirer son appareil pour ne plus rien entendre ; et là  on le voit enfin apaisé, calme et serein. Que va-t-il alors décider ? On en saura pas plus car l'écran noir surgit. Clap de fin. Le final reste donc ouvert, à  vous d'imaginer vers où ira Ruben.
En espérant avoir suscité votre curiosité et vous avoir donné envie de regarder ce long métrage que j'ai trouvé passionnant.
Bonne séance.
Trailer :
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