Bonne chère avec bonne chair : Carne - Julia Richard

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Verveneyel

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1 août 2023

" Les amis, si comme moi vous aimez les zombies, et le diable sait comme ces temps-ci je les aime ; vous devez, comme moi, vous réjouir du fait que d'année en année, même quand on pense qu'on a tout vu, on arrive encore à  être pris au dépourvu par ces chères bestioles. Et ce, il faut le dire, c'est grâce au regard frais de jeunes artistes, cinéastes, auteurs, qui déboulent sur le devant de la scène avec de nouvelles réjouissances. C'est le cas pour Julia Richard, qui en juin 2020 a mis au monde le petit bijou de littérature carnivore qu'est Carne, sorti chez L'Homme Sans Nom. "
Les amis, si comme moi vous aimez les zombies, et le diable sait comme ces temps-ci je les aime ; vous devez, comme moi, vous réjouir du fait que d'année en année, même quand on pense qu'on a tout vu, on arrive encore à  être pris au dépourvu par ces chères bestioles. Et ce, il faut le dire, c'est grâce au regard frais de jeunes artistes, cinéastes, auteurs, qui déboulent sur le devant de la scène avec de nouvelles réjouissances. C'est le cas pour Julia Richard, qui en juin 2020 a mis au monde le petit bijou de littérature carnivore qu'est Carne, sorti chez L'Homme Sans Nom.
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Et déjà  rien qu'au niveau du synopsis on a droit à  quelque chose de pas très fréquent : dans son histoire, Julia Richard nous met dans la tête d'un monsieur tout le monde qui soudain se retrouve à  ressentir des pulsions meurtrières et cannibales incontrôlables... tout en gardant l'ensemble de ses capacités cognitives. Entendez que là  on va plus loin que Day of the Dead ou Warm Bodies. Les parasités de Carne sont des êtres humains normaux, soudain frappés par la très inconvenante nécessité d'aller ripailler avec des braves gens comme plat de résistance.
À travers ce postulat, se développe une histoire saisissante enrichie aux hormones... euh, pardon, je recommence : une histoire saisissante enrichie aux réflexions sociales et existentielles qui forcent l'admiration, notamment en pleine pandémie de coronavirus.
Faisons d'abord un petit point sur la quête de sens, et gardez bien en tête que je vais essayer de spoiler le moins possible. Notre protagoniste, Simon, n'est pas un héro. C'est votre voisin, votre cousin éloigné dont vous avez oublié le visage, ce type que vous avez croisé l'autre jour en allant à  la boulangerie, ce père de famille parmi tant d'autre à  la vie plate et gentiment agréable, ce citoyen moyen. Et du jour au lendemain, tout bascule, et la petite vie tranquille s'effrite. Simon en vient à  perdre tout ses repères, et faire face à  tous les rôles qui deviennent difficiles à  endosser : celui de père, celui de mari, celui d'employé, celui de meilleur ami, celui de citoyen, celui d'être humain même. Carne, c'est le récit de la dérive de l'individu confronté à  ses fardeaux, et sa part d'ombre (sa perversion même, parfois...).
C'est aussi le roman des avaries dans les engrenages du corps social. Alors que les parasités se font de plus en plus nombreux, c'est l'opinion public qui les déshumanise et marginalise, en les appelant "zombies". Les gens ne cherchent pas à  comprendre : tous doivent disparaître, tous doivent être abattus. Les griffes des normes sociales se referment sans pitié sur des êtres perdus, à  qui la maladie ne laisse pas de choix, et dont le livre souligne autant l'incontrôlable culpabilité que le statut de victime. On est désolé autant qu'on comprend le rejet que notre personnage et ses condisciples subissent. Face à  une telle conspuassions, les cannibales s'organisent, se serrent les coudes, et trouvent un certain réconfort dans leur train-train morbide. Et comme dans de nombreuses Å“uvres du même genre, on finit par se demander qui des gens sains et des malades sont les plus horribles, et mon opinion ne penche pas pour les derniers. Car là  où les "zombies" agissent par pulsions, contre leur volontés, les gens sains, eux, font le mal parce qu'ils le veulent. Les gens sains du livre se vengent, se pavanent, se donnent des airs, expient leur haine, obéissent à  leur cupidité... La société, dépassée et complaisante, laisse faire. Hé oui les enfants, le monde est affreux, d'autant plus que le monde de Carne, c'est le monde de maintenant.
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C'est le monde de la téléréalité et des influenceurs, le monde du marketing et de la récupération politique ; le monde de la violence décomplexée sur le net et dans les débats. Un monde où les gens agissent, en ayant souvent du mal à  s'écouter.
Ne connaissant ni le temps ni le contexte d'écriture, je ne puis affirmer que l'épidémie de Covid-19 ait inspiré l'écriture du livre. Après tout, celui-ci étant sorti en juin 2020, il est probable que l'étape de la relecture et des corrections aient été déjà  enclenché quand le confinement nous est tombé dessus. Cependant, les réactions du gouvernement face à  l'afflu de cannibales rappelle de façon criante ce que nous vivons en ce moment même, ce qui donne au livre une dimension cathartique. C'est d'autant plus vrai que le roman regorge d'un humour gore, agressif et potache qui rend l'expérience de lecture souvent un brin surréaliste, mais aussi jouissive. D'ailleurs ça m'en rappelle une bonne : vous savez pourquoi le gamin tombe de la balançoire ? Parce qu'il a plus de bras ! GNIHIHIHIHIHIHIHI.
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Plus sérieusement, un autre aspect qui rend la lecture aussi énigmatique que plaisante, c'est que, la maladie faisant, notre personnage principal a des blackouts. Conséquence ? Sa mémoire est complètement en vrac. Du coup, Julia Richard a jugé bon de jouer avec l'objet livre en mélangeant joyeusement les chapitres, parfois même en les dédoublant, en les réécrivant ; en saupoudrant le tout, parfois, de pauses dans le récit, complètement délirantes, avec des comptines gores, des tutos découpe et autre joyeuseté. Alors oui, ça risque de filer la migraine à  toutes les petites natures qui trouvent que "Pulp Fiction" et "The Witcher" ont des temporalités trop complexes, mais ça devrait ravir les autres, je ne m'inquiète pas ! La narration adopte parfois également un petit côté méta, en riant ouvertement de ses propres incohérences. Si vous aimez les objets littéraires un peu insolites, vous serez aussi comblé par Carne.
Je tire mon chapeau à  l'autrice dont c'est le deuxième livre en date, et lui souhaite des années à  venir pleines d'inspiration. Carne c'est un roman qui mériterait de faire date dans le monde de la littérature de zombies, de devenir un classique, d'être traduit et exporté dans le monde entier ; bref, c'est un petit bijou sanguinolent que je ne suis pas prêt d'oublier.
P.S : vous voulez une dernière bonne raison pour lire ce livre ? Après tout, on est un webzine de culture Metal, non ? Ecoutez bien ça : "Il y a Rammstein dans le livre. Si, j'vous jure!"