Bon film, Mauvais film : une question de dosage ?

Amérique

Film

USA

Verveneyel

-

1 août 2023

" Le bon et le mauvais, voilà  le combat éternel que l'on pourrait ériger au titre de débat central dans le rapport que nous entretenons avec l'art. C'est à  travers cette recherche presque manichéenne que s'articule d'ailleurs nos échanges autour de la création. Après tout, peu de gens se contentent de dire qu'ils ont vu tel film, ou écouté tel album; il faut tout de suite donner son avis, sans quoi l'interlocuteur finira par le demander. Et tout naturellement, une fois l'opinion partagée, il faut souvent la justifier. "J'aime", "Je n'aime pas", cela ne suffit pas, et jusque là  je ne vous apprend rien. "
Le bon et le mauvais, voilà  le combat éternel que l'on pourrait ériger au titre de débat central dans le rapport que nous entretenons avec l'art. C'est à  travers cette recherche presque manichéenne que s'articule d'ailleurs nos échanges autour de la création. Après tout, peu de gens se contentent de dire qu'ils ont vu tel film, ou écouté tel album; il faut tout de suite donner son avis, sans quoi l'interlocuteur finira par le demander. Et tout naturellement, une fois l'opinion partagée, il faut souvent la justifier. "J'aime", "Je n'aime pas", cela ne suffit pas, et jusque là  je ne vous apprend rien.
On serait alors tenté d'abandonner la question du bon et du mauvais à  la simple notion de goût. Le chef d'Å“uvre des uns serait le navet des autres, sans que l'on puisse rien y faire. Si j'ai moi-même tendance à  appuyer ce genre d'argument, je dois reconnaître avoir réfléchi, après avoir vu dans la même soirée, totalement par hasard, deux films dont l'un est pour moi une version "réussie" de l'autre. Car si un film qui vous semble mauvais ne vous empêche pas de passer un bon moment, il peut au moins vous faire comprendre ce que vous aimez dans les films qui vous semblent bons ; et j'imagine que cette affirmation peut s'élargir à  toute appréciation de l'art.
Description de l'image
Sans plus attendre, je vous propose aujourd'hui une petite étude comparée, de Don't Breathe de l'uruguayen Fede Alvarez, et Last Chance Hotel de Wen-Han Shih. Je précise que je partais sans trop d'a priori, ni pour l'un, ni pour l'autre, n'étant pas du tout un grand fan d'Alvarez, et ne connaissant pas Shih. J'ai apprécié les deux films, j'en ai cependant trouvé un nettement meilleur que l'autre. Le but de cet article ne sera pas de vous faire détester le moins réussi, mais de pointer du doigt quelques facteurs objectifs de la qualité d'un film.
Avant de rentrer vraiment dans la comparaison de ce qui va dans l'un, et ne va pas dans l'autre, il est important de comprendre qu'en terme d'intrigue, les films sont assez proches : dans les deux cas, on a un personnage féminin relativement fort et indépendant, motivé par la volonté de protéger d'une personne chère. Ce personnage s'adonnant à  des activités moralement et légalement répréhensible doit faire face à  un antagoniste très dangereux et ses acolytes, dans un lieu hostile.
Description de l'image
Les deux films sont des films d'horreurs, mis en scène dans notre monde, avec selon toute vraisemblance des corps et des objets qui obéissent aux lois de notre univers.
Il serait également assez déloyal de chercher de vraies différences entre les deux films au niveau du casting : les deux films compte des acteurs relativement peu connus, aux expériences filmiques similaires, sans distinction particulière. On pourrait même dire que les deux films comptent un acteur vedette tout droit sortis du cinéma d'action, au calibre similaire : Stephen Lang d'un côté, Danny Trejo de l'autre.
Avec indulgence on pourrait même passer outre les musiques des films respectifs, puisque le budget peut vraiment influer sur cet élément. Là  où le bas blesse, c'est à  mon sens principalement sur des questions de mise en scène, de réalisation et d'écriture qui ne sont en générale pas impactées à  proprement parler par des questions de budget et de moyens.
Pour commencer ce face à  face, on va décortiquer le scénario des deux films, notamment au niveau des personnages. Car la première chose, qui, il me semble, fait tomber Last Chance Hotel dans le bourbier, c'est que les personnages ne sont, pour la plupart, pas assez intéressant, et pas assez crédibles. Pire encore : Shih, dans ses choix de mise en scène, ne leur rend pas service. On le dit souvent pour le cinéma : ne dites pas, montrez. Cette injonction empruntée à  Tchekhov prend tout son sens par exemple dans l'exposition des motivations des personnages. Dans Don't Breathe, Fede Alvarez nous montre l'univers quotidien du personnage de Rocky, notre héroïne, coincée dans une habitation minable, avec une mère irresponsable, toxicomane, en ménage avec un type louche, plus jeune qu'elle, indifférent, avec une croix gammée tatouée sur le dos de la main. La seule chose qui rend cet univers plus lumineux pour notre protagoniste, c'est l'innocence de sa petite sÅ“ur. Avant même que Rocky lui promette que tout va changer, on sait en tant que spectateur pourquoi elle commet les cambriolages qu'on l'a vue faire au début du film. La scène dure à  peine quelques minutes. Dans Last Chance Hotel, l'enchaînement des scènes n'est pas optimal, et la caractérisation repose trop sur des dialogues anecdotiques. Comme dans Don't Breathe, on voit Natalie commettre les premiers vols avant d'en comprendre les motivations, mais d'une part, elle commet ses exactions d'une manière qui ne l'ancre pas dans un personnage de femme forte (sa plastique est son seul atout face à  des adversaires résolument trop bêtes), et d'autre part, l'apprentissage de sa réalité manque complètement d'impact : Natalie apprend par téléphone que sa mère est très malade et n'aura pas les moyens de payer ses soins. À ce moment du film, on ne voit pas la mère, on ne voit pas la connexion entre les deux femmes, tout tient sur un dialogue ; et l'actrice a beau larmoyer dans la voiture qu'elle vient de voler, on ne s'identifie pas. D'autant moins d'ailleurs que jusqu'à  présent, Natalie semblait baguenauder dans le sud des USA avec une relative insouciance : le personnage ne respire aucune urgence au début du film, et ne semble appeler sa mère que pour donner des nouvelles. Quand dans Don't Breathe on était confronté en quelques plans à  une réalité sociale dont on comprenait les enjeux, en éprouvant de la compassion pour un personnage dont on mesurait la détresse. On a l'impression que dans Last Chance Hotel la réalité sociale arrive maladroitement et subitement, comme un prétexte, tandis que la protagoniste a passé le début du film à  voler des gens pour le sport. Dans Don't Breathe, Rocky est une rebelle qui écoute son sens moral, et cherche à  échapper à  sa condition par les seuls moyens qu'elle connaisse. Dans Last Chance Hotel, Natalie est un personnage immoral rendu mollement aimable.
Description de l'image
Ce dosage de crédibilité s'opère également chez les alliés respectifs de Rocky et Natalie, mais avec un problème supplémentaire : les alliés de Rocky ont chacun leurs motivations propres, et se joignent à  elle pour que leurs compétences se complètent. Chacun ses problèmes, l'union fait la force. Pour les alliés de Natalie... hé bien c'est simple : ils n'ont aucune raison de l'aider. À certains moments du film, ils l'aident de façon quasiment contradictoire, parce qu'elle les a tous volés, menacés d'une arme à  feu, ligotés, trompés ; et dans la seconde moitié de l'intrigue, ils l'aident pour la simple raison qu'ils sont à  trois menacés par le méchant de l'histoire. à‡a ne pardonne pas l'incohérence du début, et c'est loin de suffire pour la fin.
Enfin, les antagonistes, d'un film à  l'autre, n'ont pas du tout le même niveau de menace aux yeux du spectateur, et cela relève encore de la différence entre ce que l'on dit et ce que l'on montre. L'antagoniste de Don't Breathe est exposé avec finesse, parce qu'on ne le comprend pas tout de suite comme une menace. D'ailleurs, si l'on s'en tient purement aux dialogues, le coup des protagonistes semble gagné d'avance : on apprend que c'est un vétéran de l'armée américaine, vieux, aveugle, qui vit seul dans son quartier sans attache. Et puis Alvarez arrête de nous en parler, et fait monter le niveau de menace à  l'écran. Le film commence par une image de l'homme qui a saisi l'héroïne la main dans le sac. On crée alors une attente chez le spectateur. Ensuite, on apprend qu'il a un Rottweiler plutôt antipathique. Puis on découvre que pour un vieil homme, il est capable de réflexes et de furtivité. Puis encore on découvre que son ouïe très développée lui permet plus d'une fois de compenser sa cécité. D'autres détails par la suite continuent de construire le personnage comme un adversaire de taille, ses compétences sont crédibles. On peut même à  une certaine échelle s'identifier à  ce personnage puisque sa résistance est, la plupart du temps, du bon côté de la morale, et sa psychologie est compréhensible. Et pourtant, les dialogues sont très rares. Celui qu'on disait faible par la parole est devenu fort par la cinématographie.
Description de l'image
Dans Last Chance Hotel, on apprend tout du méchant de l'histoire par des dialogues de reportages d'info choc, maladroitement écrits parce qu'ils font une liste de caractéristiques, et ne montrent presque rien : en gros, on sait que c'est un ancien gourou de secte, qu'il s'est échappé de prison, qu'il est tueur en série, et que la police le cherche. C'est tout, et très honnêtement, on n'en saura pas plus. De plus, alors que le criminel est sensé être en cavale, l'hôtel où ce dernier se cache est totalement recouvert, sur ses murs, de symboles mystiques (que les personnages, de façon ridiculement incroyable, ne voient pas), premier clou dans le cercueil de la crédibilité. D'une situation d'urgence, de cavale et de fuite, on passe à  une impression de préméditation, qui pourrait presque passer. (On s'accorde malgré tout sur le fait que si l'arsouille a eu le temps de refaire la déco aux couleurs de sa secte, tout porte à  croire qu'il n'y a pas le feu au lac...) Mais alors qu'on avance dans le film, on découvre que le personnage est une espèce d'Electro de Spider-Man de l'enfer, puisque couvert de fils qui lancent des arcs électriques. Il tue parfois les gens avec une faux, parce que les faux c'est cool (ou franchement kitsch... aïe) Coup de théâtre, on apprend qu'il peut se téléporter. Et là , on n'y croit plus. Déjà  parce qu'en dépit du bulletin d'information, on n'est pas très impressionné parce qu'on n'a que très vaguement vu un meurtre, et à  peine constaté le côté mystique ; mais surtout parce que le personnage finit par accomplir de façon totalement inexpliquée des choses que, dans l'univers où on nous a placé, il ne devrait pas être capable de faire. Et là , ne me parlez pas de petit budget, puisque tout ça, c'est de la CGI tristement dispensable. Les sous dépensés dans les effets 3D du tueur auraient pu servir, par exemple, à  cacher le fait que des plans sensés se passer de nuit aient été tournés en plein jour... Je dis ça, je ne dis rien...
On conclura cette partie ainsi : le film de Shih a des dialogues souvent creux, parfois pesants, et malheureusement, il en a mis partout, pour ensuite nous servir des pétards mouillés de frisson, des super pouvoirs sauce "pas chère", et des personnages sans logiques. Notez que c'est dommage !
Je vous disais plus tôt que les personnages ont parfois des réactions (trop) surprenantes chez Wen-Han Shih. Il faut dire que leur environnement, et surtout la façon dont il est filmé, ne leur rend pas service. Ce problème de réalisation apparaît notamment dans le traitement des bâtiments. Fede Alvarez est scolaire, mais efficace, et adapte sa réalisation à  la construction progressive de son intrigue : au début de l'action principale de Don't Breathe, la maison du vétéran n'est pas perçue comme une menace, ni par les personnages, ni par les spectateurs. Alvarez n'en fait pas d'entrée de jeu un élément inquiétant de l'histoire. C'est seulement à  mesure que l'on avance dans l'histoire que l'accent est mis sur tout ce qui fait du bruit, tout ce qui fait obstacle, tous les labyrinthes. Dans Last Chance Hotel, on nous fait rentrer de façon presque poussive dans un train fantôme dès les premières images de l'hôtel : plan décadré, lumière rougeâtre très tamisée, inscriptions mystiques sur les murs cadrées en gros plan. Si l'on s'en tient juste à  la lumière et la décoration, il est déjà  impensable que des personnages sains d'esprit veuillent y dormir. Mais pire encore, commencer par appréhender les lieux ainsi nuit à  l'angoisse : on nous montre un lieu sous un jour angoissant, même quand il ne se passe rien. Wen-Han Shih illustre le mythe du garçon qui criait au loup en criant à  la menace de façon blafarde, peu subtile, et dans le vent. C'est quand même dommage quand on a plusieurs décennies de films à  maisons hantées pour préparer le terrain. Souvenez vous de Shining, d'Amityville et de Conjuring : dans les trois cas, vous vous souviendrez peut-être que les maisons et hôtels ne sont pas systématiquement filmés avec les ressorts de l'angoisse. Et ce, pour faire varier l'intensité émotionnelle pendant le film, mais aussi pour rendre la menace plus sournoise. L'art de manier l'inquiétante étrangeté chez les maîtres de l'horreur, réside dans la capacité à  faire naître l'inquiétante étrangeté là  où, de prime abord, il n'y a rien à  signaler !
Description de l'image
Description de l'image
On va finir avec un dernier point sur lesquels les deux films se font face de manière différente : la fameuse lumière. On va passer outre le fait que Shih ait parfois raté la luminosité de certains plans "de nuit", pour s'intéresser plutôt à  l'intérêt narratif de la lumière. Dans Don't Breathe, l'absence de lumière est un atout majeur de l'antagoniste : il ne voit rien, mais connait sa maison par cÅ“ur et peu se diriger à  l'oreille et au toucher. Les protagonistes qui ne connaissent pas la maison et n'ont pas ces compétences sont donc mortellement désavantagés quand le vétéran coupe son disjoncteur électrique. Il n'en faut pas plus pour générer l'une des scènes les plus terrifiantes du film, où nous spectateurs voyons ce que les personnages ne voient pas. On retient notre souffle, alors que les ennemis se frôlent, s'évitent d'un cheveux, et se trahissent.
Dans Last Chance Hotel, le faucheur peut aussi couper le courant avec son super costume de disjoncteur (admettons), mais c'est principalement pour provoquer des sursauts de quelques secondes qui nous replongent encore une fois dans le train fantôme un peu feignant. Avec des ficelles peu techniques et relativement classiques, ont aurait pu passer d'un simple monstre qui fait "Bouh" dans le dos des personnages à  quelque chose de plus angoissant. Disons-le, l'hôtel fait souvent plus peur que ce méchant. Je parierais volontiers que le réalisateur a déjà  dû voir "Halloween" de Carpenter ou le premier "Saw" de James Wan... mais disons que s'il n'était pas sorti faire pipi pendant la séance il aurait arrangé son film à  moindre frais.
Je le répète les amis, j'ai apprécié les deux films, l'un comme un bon film d'horreur, l'autre comme un film plein de bonnes idées et de bonne volonté, qui a souffert d'un traitement un peu hâtif ou pas assez fouillé. La deuxième expérience était divertissante, et après tout, c'est le minimum exigible. Loin de moi l'idée de faire un procès à  Wen-Han Shih pour mauvaises intentions. Et en dépit des défauts que j'ai cité, je reste enthousiaste vis-à -vis d'un certain nombre de choses, parce qu'envers et contre toute objectivité, j'ai une certaine affection pour Danny Trejo, je me suis laissé embarqué dans certains virages de l'intrigue, et j'ai trouvé intéressant le propos politique, le paysage social, malgré les difficultés. J'ajouterai aussi que Don't Breathe ne partait pas avec beaucoup de capital sympathie, car pour tout vous dire, je n'ai vraiment pas aimé le remake d'Evil Dead de Fede Alvarez. J'avais cette mauvaise en tête et de ce fait Don't Breathe était une très bonne surprise. On aurait surement pu dire encore beaucoup de choses sur ce qui sépare les deux films, mais ces quelques exemples m'ont permit de démontrer un élément : s'exposer à  des films que l'on trouve mauvais, c'est comprendre ce qui fait qu'on aime un film plus qu'un autre, et à  ce titre, c'est très formateur. Cela signifie qu'il existe aussi quelques facteurs basiques d'objectivité qui permettent de déterminer la bonne facture d'un film, ce qui, malgré tout, ne gâchent pas forcément l'appréciation qu'on en aura.
Je vous laisse méditer là -dessus, jusqu'à  la prochaine fois.