Horreur à  Oakmont : The Sinking City

Horreur

Jeu video

Verveneyel

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1 août 2023

" J'ai hésité un moment à  écrire cet article, je ne m'en cache pas. Après tout, vu l'aura mondiale d'H.P Lovecraft, la notoriété presque insolente de sa mythologie, et sa place dans la Pop Culture ; je m'étais fait l'idée que The Sinking City, sorti en 2019, n'avait échappé à  personne, que tout le monde en avait soupé suffisamment... "
J'ai hésité un moment à  écrire cet article, je ne m'en cache pas. Après tout, vu l'aura mondiale d'H.P Lovecraft, la notoriété presque insolente de sa mythologie, et sa place dans la Pop Culture ; je m'étais fait l'idée que The Sinking City, sorti en 2019, n'avait échappé à  personne, que tout le monde en avait soupé suffisamment. Et puis, je suis revenu sur mon jugement en constatant que relativement peu de personnes dans mon entourage savaient de quoi je parlais en citant le jeu, et en remarquant que celui-ci n'avait pas tellement acquis le statut culte qu'à  mon sens il mérite.
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En un mot : commençons ! Pour ceux à  qui ça a échappé, dans The Sinking City, vous contrôlez Charles Reed, détective privé, ancien soldat dans la marine, qui se rend dans la mystérieuse ville partiellement inondée d'Oakmont, dans le Massachussetts, pour découvrir l'origine d'étranges hallucinations auxquels il est en proie. Et la vie n'est pas tendre sur cette enclave désolée : entre violence ordinaire, magouilles entre groupes d'intérêts, mais surtout l'invasion de nombreuses créatures mutantes difformes et voraces, difficile de passer un séjour tranquille. D'autant que les autochtones n'aiment pas trop les étrangers dans votre genre par chez eux.
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C'est peut-être ce premier aspect que j'aime énormément dans ce jeu, et qui en fait une adaptation remarquable du matériau d'origine : Oakmont est particulièrement inhospitalière. Très peu de choses, même dans les monuments iconiques, les riches propriétés, les voisinages épargnés par les eaux, sont à  proprement parler belles, ou ne serait-ce que propre. Tout est accidenté, terne, sale, chaotique. La putréfaction, le sang, les goémons et autres cirripèdes ne sont jamais bien loin. La ville entière est en pleine décrépitude, et semble, comme nous l'indique le titre, couler toujours plus. On retrouve très vivement le dégoût exprimé avec emphase dans les écrits du fou de Providence.
Ensuite, ce qui a marché à  fond avec moi, et qui m'a rendu complètement accro au jeu, c'est la partie enquête. Parce que oui, après tout, vous êtes un détective, il s'agit donc de mener des enquêtes moyennant récompenses. J'ai trouvé que toute la partie investigation était finement ficelée, car les différentes quêtes ne se ressemblent pas, affinent de différentes manières la narration, ainsi que la crédibilité de l'univers ; et vous font rencontrer des commanditaires très différents, vous amenant parfois à  faire des choix. Il sera parfois question d'apprendre l'histoire de la ville, de comprendre le mal qui le ronge ; parfois de jouer les limiers pour démasquer des complots, parfois de libérer des innocents, de retrouver des disparus, d'arranger des deals avec des contrebandiers, de chercher des preuves, d'avoir maille à  partir avec des fanatiques... Vous voyez, il y a de quoi faire !
Le jeu n'essaye pas de vous mâcher le travail : c'est à  vous de découvrir où vous mènent vos pistes sur la carte, à  vous de dénicher le bon filon dans les archives, à  vous de faire les bonnes déductions, pour dénouer les fils des mystères. Le jeu vous sollicite également sur des choses complètement anodines, qui n'auront peu ou pas de conséquences mais qui vont forger davantage la personnalité de votre personnage, ainsi que l'image que vous aurez des autres individus qui peuplent Oakmont. C'est un régal de narration. Votre curiosité, et votre patience pour explorer chaque lieu seront récompensées, elles aussi. Si l'on peut reprocher aux bâtiments de se ressembler, le coup est rattrapé sur la foule de détails, de documents, de passages secrets à  découvrir.
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Vos enquêtes vous amèneront également à  raviver vos compétences de plongeurs chez les marines : plusieurs fois, vous enfilez un scaphandre et allez explorer les fonds marins en quête de réponses. Le gameplay y est certes assez épuré, le temps immergé fugace, mais le bienfait de ses phases sur l'atmosphère générale du jeu est indéniable. Ce sont des parties inquiétantes, qui nous donne plus encore qu'ailleurs un aperçu du panthéon Lovecraftien, sans tomber dans la kitscherie grotesque, sans tarir une suggestion efficace.
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Lovecraft disait : "Ce qui est, à  mon sens, pure miséricorde en ce monde, c'est l'incapacité de l'esprit humain à  mettre en corrélation tout ce qu'il renferme. Nous vivons sur une île de placide ignorance, au sein des noirs océans de l'infini, et nous n'avons pas été destinés à  de longs voyages. Les sciences, dont chacune tend dans une direction particulière, ne nous ont pas fait trop de mal jusqu'à  présent ; mais un jour viendra où la synthèse de ces connaissances dissociées nous ouvrira des perspectives terrifiantes sur la réalité et la place effroyable que nous y occupons : alors cette révélation nous rendra fous..." Ce que j'aime dans ces quelques mots, c'est la puissance de l'angoisse qui y réside. L'univers regorge de vérités que nous ignorons, avec lesquelles nous serions incapables de vivre si nous les savions. J'adore la façon qu'il a de nous révéler dans son univers que des destins atrocement funestes attendent d'être accomplis, et que depuis des lustres, certains, dans le plus grand secret, le savent. Avec ces phases de plongées, entre autres, notre personnage sait de plus en plus, et cela devient un combat éperdu pour garder une santé mentale. Car dans le jeu, vous avez non seulement une barre de vie, mais vous avez aussi une jauge de santé mentale.
Dans les faits, ça ne change pas grand chose : comme pour les points de vie, c'est une chose qui peut vous amener à  fuir des danger, ça se recharge avec des ressources (votre personnage dans The Sinking City est probablement accro aux barbituriques et au laudanum). Par contre, pour un jeu qui contient des phases d'horreur et de survie, cela rend la narration plus cohérente et vraisemblable. Peu de jeux envisagent la possibilité que votre personnage puisse faire une crise de panique. Tous les personnages, dans Silent Hill, Resident Evil, the Evil Within ou que sais-je partent du principe qu'ils ont une quête à  accomplir, et qu'importe ce qui sera sur leur chemin, ils y feront face. On a rarement entendu parler de personnages traumatisés dans les jeux d'horreur. Pourtant, aux dernières nouvelles, dans notre monde, il n'est pas normal de croiser des monstres, et tout le monde n'est pas disposé à  les affronter, même un soldat. Du coup, quelque part, que votre personnage puisse se faire sérieusement chambouler la cafetière par les indicibles horreurs qu'il rencontre, c'est plutôt futé ! D'autant que votre folie est à  la fois un fardeau et un avantage : vos hallucinations agissent conjointement avec une faculté, une sorte de sixième sens, qui vous aidera à  résoudre les énigmes et comprendre les événements. Le tout est de ne pas en abuser, mais parfois, s'engager sur le chemin de la folie est indispensable pour réussir. Cette ambigà¼ité, là  encore, participe à  rendre le jeu captivant.
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En cohérence avec un jeu qui mêle enquête et survival horror, les munitions sont offerte avec parcimonie, et doivent être utilisées en conséquence. Vous lirez jusque dans les soluces sur internet qu'il est parfois plus sage de fuir un combat que de vider ses chargeurs au-delà  du raisonnable. Cela vous forcera aussi à  réfléchir sur vos actions, tirer le meilleur profit de l'espace, adapter votre armement à  la situation, et bien penser à  la façon dont vous utilisez vos ressources. Sans être forcément punitif, le jeu vous sanctionnera sur certains mauvais choix : par exemple, si une maison est infestée, et que vous choisissez de sortir en pleine rue pour gagner du temps alors que le monstre qui vous pourchasse ouvre la porte, vous risquez de vous faire abattre car en vous voyant les armes à  la main, les passants prennent peur, et la police vous neutralise. Quelqu'un a parlé de "réalisme" ?
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Pour en finir avec la narration, là  où le jeu a aussi réussi à  tirer le meilleur partie de l'univers de Lovecraft, c'est dans le traitement ultra casse-gueule du racisme de l'auteur. De but en blanc beaucoup de créateurs auraient choisi de ne rien en faire, de surtout occulter cet aspect. Les scénaristes du jeu ont réussi à  garder les personnages mi-homme mi-poisson, ainsi que les hommes simiesques, sans faire de leurs caractéristiques des traits ethniques particuliers. Les Innsmouthers (les hommes-poissons dans le jeu) sont des Américains caucasiens au même titre que la famille Throgmorton ; et ces figures sont relativement marginales dans une majorité de personnages aux minorités variés qui ont des allures d'être humains normaux. Le jeu ne laisse planer aucun doute sur le côté répréhensible du racisme d'ailleurs : en début de jeu, un message explique que le jeu représente une époque où la ségrégation était de rigueur aux USA (années 1920), et que le jeu a choisi de montrer cette violence plutôt que d'imaginer qu'elle n'a pas existé. Sans l'ombre d'une hésitation la violence de la ville d'Oakmont est dépeinte comme malsaine. Dernier point en faveur de cette idée : au cours de vos pérégrinations, vous croisez la route du Ku Klux Klan. Il est totalement évident que ce sont des ennemis, vous n'êtes jamais amené à  pactiser avec eux, votre personnage les tourne en ridicule, et finira même par mener un raid dans leur quartier général, pour tous les descendre (il fallait bien que je vous spoile un peu). Ce faisant, le jeu a réussi à  garder un élément phare des récits de l'auteur (ces personnages étranges), tout en affirmant leur rejet vis-à -vis du fond idéologique. Votre personnage est au dessus de ce système de valeur, et viendra en aide indifféremment aux Innsmouthers, jusqu'à  les défendre politiquement auprès des autorités. Un véritable parallèle est dressé entre le conservatisme toxique d'Oakmont et de ses traditions, et le sens de la justice qui rend votre personnage si marginal.
Et l'habillage du jeu pour finir ? Parce qu'à  ce stade, je pense que vous avez compris que du côté de la narration c'est du lourd, mais qu'en est-il de l'aspect audiovisuel ? Graphiquement, le jeu est visuellement agréable. Pas forcément révolutionnaire, beaucoup de personnages se ressemblent, les détails ne sont pas forcément à  couper le souffle, mais ça ne gâche en rien l'atmosphère ni le plaisir de jouer. Là  où il y a encore du tour de force à  l'horizon tout de même, c'est du côté de la musique, pas forcément très emphatique ni inoubliable, mais qui est toujours là  où il faut être, très proche de l'ambiance aqueuse et moribonde du jeu. Pour moi c'est du tout bon, et pour quelqu'un qui a tendance à  couper le son des jeux pour mettre ses playlists, sachez que je ne l'ai pas fait avec The Sinking City.
C'est donc mon conseil vidéo-ludique du jour. Sincèrement, si vous cherchez une bonne expérience qui vous donne l'impression d'être un enquêteur, dans une atmosphère lovecraftienne réussie, foncez, parce que ça n'est pas tous les jours qu'on voit une adaptation aussi bonne.