À venir les amis, vous allez souper du Zombie. Vous êtes prévenus, en ce moment je suis dans une humeur à grignoter de la chair humaine pour répandre la maladie, du moins en ce qui concerne ma consommation culturelle. Cette infection putride, elle s'est emparée de mes écoutes musicales, de mes lectures, mon activité vidéo-ludique, et mes visionnages de film, c'est d'ailleurs ça qui nous intéresse aujourd'hui. Ce jour, pas de Jess Franco, pas de Romero, pas de "Bio Zombie" non plus, et pourtant croyez moi je crève d'envie de vous parler de tout ça. Aujourd'hui ce qui nous intéresse, c'est un petit bijou qui nous vient de Grande-Bretagne, j'ai nommé Anna and the Apocalypse, sorti en 2017. Dans ce film, on suit Anna, jeune fille en quête d'indépendance alors que la fin du lycée approche. Alors que tout l'établissement prépare les festivités de Noà«l, le pays se retrouve soudain ravagé par une invasion de morts vivants. Mince alors, voilà qui pourrait bien foutre en l'air les festivités !
Avant de rentrer dans le vif du sujet, j'en profite pour préciser que j'ai pu voir ce film grâce à la plateforme de VOD ShadowZ, et pour ça, je suis extrêmement reconnaissant à ceux qui sont derrière ce projet. Ce n'est pas de la pub, on n'a pas reçu un sou de ShadowZ, mais j'avais envie de leur dire. Cette plateforme là , c'est un pur bonheur !
Du coup, avec un monstre dont on n'a de cesse d'entendre qu'il est fatigué, usé jusqu'à la corde, comment une petite production Britannique peut-elle bien nous surprendre ? Ma foi, en étant une comédie musicale pour ado ! Bien-sûr, c'est loin d'être la première oeuvre du genre, quand on sait que Re-Animator et Evil Dead ont eu droit à des adaptations sur scène en comédie musicale. Le film n'en reste pas moins rafraichissant et original car on imagine assez mal la chair pourrissante s'inviter dans les couloirs colorés d'High School Musical... Et pourtant...
Et pourtant c'est chose faite, et c'est très réussit, d'autant que pour commencer, on sait tout de suite qu'on a affaire à une production Britannique, et ça participe grandement à l'atmosphère générale du film : les acteurs trimbalent leurs accents (savoureux), les rues ne sont pas pleines de gratte-ciel, les étudiants sont en uniforme. Autant de petits détails qui nous donnent une ambiance différente des ersatz de Walking Dead qu'on nous sert à toutes les sauces.
Alors bien-sûr du point de vue de la réalisation c'est loin d'être un chef d'oeuvre novateur qui ferait pleurer Fred Astaire, malgré tout, on a quelques prises de vues très sympa par-ci par-là , notamment dans la boutique de sapin qui a de sympathiques jeux de lumière, et qui permet de mettre en scène une vraie jungle artificielle assez crédible. Les scènes comportant de la danse sont également assez agréable dans le sens où le film a pris le parti de ne pas avoir forcément tous les figurants danseurs tous synchronisés. Dans la première chanson par exemple, les mouvements peuvent être légèrement différents d'une personne à l'autre, et d'une certaine manière, ça donne un côté "plus vrai" à ce qu'on essaye de nous raconter : on n'est pas devant une mise en scène avec des danseurs qui attendent le top pour gigoter, on est dans un lycée, avec des lycéens qui s'amusent, même quand ils ne sont pas très bons danseurs. Ce pourrait vous sembler tiré par les cheveux mais ça participe à construire un produit qui nous met à l'aise, et qui n'essaye pas de trop s'édulcorer.
Même la musique est assez agréable. Pas forcément originale, très pop, mais pas mauvais ! On a même quelques petits accès bien Rock avec la chanson de Nick "Soldier At War". C'est propre, mélodique, ça ne fait pas du tout amateur, c'est ce que le film pouvait faire de mieux vu son concept.
Le vrai point fort du film, c'est surtout ses personnages. Parce qu'à dire vrai, on a droit à un bouquet haut en couleur d'individus attachants, et qui réussissent à l'être sans forcément avoir un background très poussé, mais bien parce qu'ils ont un jeu d'acteur juste. Encore une fois, pas de quoi décrocher la palme et plonger le monde dans l'émoi, mais juste assez pour nous garder dans le film. Prenez le personnage de Chris. Chris, c'est l'archétype du geek fan d'horreur qui fait des films lui-même, un peu timide, un peu gauche. Cet archétype, vous l'avez déjà vu dans pas mal de films. Maintenant, question : combien de fois avez-vous vu cet archétype avec un acteur qui en faisait des tonnes pour apparaître burlesque et, disons-le, ridicule à l'écran ? Beaucoup trop, certainement. Pour le coup, ça fait du bien d'avoir une performance un peu terre à terre. Certes Christopher Leveaux n'est pas l'acteur du siècle, mais sont interprétation rend le personnage crédible. Il n'essaye pas d'être pataud, il est pataud, et ça fait tout. Et il en va de même pour beaucoup de personnages, je n'ai, à vrai dire, pas grand chose à reprocher à Anna, John, Steph et Lisa du point de vue de la crédibilité. Je reconnais dans le film des ados, et non pas l'idée que se ferait le réalisateur des ados. Le personnage visiblement stéréotypé de bout en bout, c'est le proviseur du lycée, Arthur Savage, qui lui est explicitement un personnage hors norme, presque cartoonesque, notamment par rapport aux autres adultes comme Tony qui ont un jeu beaucoup plus juste, mais là encore, ce n'est pas forcément inintéressant par rapport au propos du film ; on y vient.
Le zombie moderne, c'est un peu le monstre facile pour mettre en scène la critique sociale. Vous voulez critiquer la société de consommation ? Faites déambuler vos goules dans un supermarché. Vous voulez critiquer la cruauté de l'être humain ? Créez des survivants qui oppressent leurs congénères. Vous voulez critiquer les dérives militaristes d'un état ? Faites que l'armée prenne en main la menace façon dictature. Vous voyez, c'est facile.
Malgré tout, j'ai l'impression que le propos du film est ailleurs, et en ce sens, plus original. Certes, on a une petite dose de critique du monde moderne quand nos protagonistes découvrent qu'ils peuvent se faufiler inaperçus parmi la masse de morts-vivants si ceux-ci sont occupés à regarder des écrans ; mais ça correspond à environ cinq minutes du film et il y a en réalité quelque chose de plus subtile dans le propos global du film.
Pour moi, Anna and the Apocalypse est un film sur le passage à l'âge adulte. C'est d'ailleurs un postulat que le film nous présente dès le début, avec Anna qui annonce qu'elle veut prendre une année de césure pour voyager, au lieu d'aller tout de suite à l'université, ce qui met son père en colère. Partant de ce principe, le zombie, c'est une métaphore du monde des adultes, qui à plus d'un titre est inquiétant, contamine progressivement les jeunes qui sont chaque jour un peu moins des enfants, fait peser une pression sur leurs épaules, et parfois, se met en travers de leurs rêves. Par exemple, la première fois qu'on voit vraiment éclater au grand jour l'invasion zombie, c'est au matin du deuxième jour, quand Anna se lève et va retrouver son meilleur ami John. Les deux personnages parcourent les rues de leurs quartiers respectifs, ravagé donc, et une chose qu'on peut remarquer, c'est qu'un certain nombres de zombies sont en combinaison fluorescentes, et a fortiori, tous sont sensiblement plus vieux que nos héros. Pourquoi ? Parce que les zombies ce sont des gens qui bossent, des adultes qui mènent leur vie d'adulte. Des flics, des jardiniers, des ouvriers, des soldats, des dames de ménage, des cadres, des profs, des mascottes, ce que vous voulez. Et du point de vue d'un adolescent, c'est une vision assez crédible. On s'est tous demandé l'intérêt de devenir un adulte responsable si c'est pour se retrouver à faire métro-boulot-dodo pour un salaire de misère et pour vivre dans un clapier. La mort de certains personnages jeunes, quant à elle, s'inscrit également dans la métaphore globale. D'une part on l'a dit, ils accèdent à l'âge adulte, donc deviennent des zombies, mais au-delà de cela, c'est la fin de la dernière année au lycée, chacun s'en va de son côté poursuivre sa vie, certains restent ensemble, d'autres se séparent. Et là encore, c'est le genre d'angoisse bien réelle qu'on peut avoir à cet âge là . Les rêves se consument, l'école est finie, le bonhomme de neige du supermarché est un type déguisé... La menace, elle est vraiment là ! Autre exemple : au détour de quelques répliques, le proviseur dit que le fait de lâcher les zombies sur ceux qui lui manquent de respect est une façon de se venger de ceux qui n'ont jamais cru en lui. C'est une réplique qui semble anodine prononcée par un personnage caricatural, mais on peut encore y trouver des échos intéressant : le proviseur n'est pas un zombie, mais lui qui devrait être un adulte responsable qui guide la jeunesse qu'il a à charge. Il se dérobe à son devoir en reproduisant les maux qu'il a lui-même subi. Il ne manque jamais une occasion de rabaisser les autres, parce que lui-même à été happé par un monde d'adulte qui n'est pas tendre avec ceux qui sont fragiles. Attention, là encore je ne cherche pas à dire que le mal à forcément une origine, simplement que parfois le mal social peut avoir quelque chose de cyclique, et ceux qui souffrent de stress post-traumatique, ou de complexes, en savent quelque chose. Et voilà comment sur une réplique que personne n'aura noté, le film touche en réalité quelque chose de très pertinent. Le simple fait que les personnages se ruent tous à l'école pour aller secourir les survivants qui y sont coincés, et que ce soit l'objectif majeur de l'intrigue, est révélateur : dans cette période de trouble, les personnages ont besoin de repères, ils ont encore besoin qu'on les guide... Donc ils ont besoin de leurs parents, et de "sanctuaires" sociaux comme l'école.
[ATTENTION, ZONE SPOILER] Pour conclure sur ce point, la fin du film est la réponse aux angoisses qu'il égraine depuis le début. Tony, le père veuf de Anna, s'inquiète pour l'avenir de sa fille, la couve peut-être trop, et mets peut-être beaucoup d'espoir en elle, car ses résultats scolaires sont bons, et lui n'est "que" concierge. Il espère, comme beaucoup de parents, la voir s'épanouir et s'élever en société. Or, quand Anna réussit finalement à atteindre l'école et à retrouver son père, elle lui montre dans les faits qu'elle est capable de se débrouiller, qu'elle ne se laissera pas faire et qu'elle est prête à affronter la vie, ce que son père reconnait explicitement. À plus forte raison, plusieurs autres personnages sont contraints de subir ou d'infliger la mort à leur parents. L'enfance est fini, la nouvelle génération remplace celle d'avant.
Anna devient un véritable personnage de femme forte à travers le film, n'hésitant pas à affronter des hordes à elle toute seule. Et elle le devient d'autant plus que le film ne fait pas tomber son personnages dans des clichés romantiques : John est visiblement amoureux d'elle, mais ses sentiments ne trouvent pas de réciproque, ce qui occasionne une monumentale scène de friendzone comme on en voit peu ; et de la même façon, elle n'est absolument pas impressionnée par les gros bras de Nick, qui a probablement été son copain, mais ne l'est plus, et ne le sera plus jamais. [FIN DE LA ZONE SPOILER]
Plus largement les personnages féminins sont intéressants dans le film car ils sont soit pleinement affirmés, soit ils le deviennent avec beaucoup de force. En outre, Anna s'affirme bel et bien, mais on a aussi Lisa, qui dès le début du film nous apparait comme maîtresse de sa sexualité et droite dans ses bottes quant à sa personnalité. Steph est également un personnage qui murit au cours du film et semble finalement prendre en main sa vie, confiante.
Et avec tout ce délire d'interprétation vous devez vous dire que le film doit être chiant et prise de tête, pas fun pour deux sous ? Hé pourtant non ! Parce que le film sait aussi être drôle et se moque de lui-même avec une aisance qui ferait du bien à pas mal d'autres films. Parce que le postulat de base, faire une comédie musicale pour ado avec des zombies, est loufoque, et les têtes pensantes du film le savent. Prenez la deuxième chanson du film, c'est évident que le film se moque de lui-même : Anna et John dansent de façon emphatique alors que c'est le chaos total derrière eux et qu'ils ne s'en rendent même pas compte. Ils font leurs singeries même en passant à travers un cimetière comme s'ils vivaient dans une bulle, et oui, c'est drôle. Autre exemple : le film joue avec des vieilles références. Steph et Chris se cachent au bowling de la ville, et c'est là qu'ils font face aux premières hordes de zombies. Premièrement, Steph essaye de poignarder la tête d'un zombie avec une spatule métallique... et forcément, ça ne marche pas, mais ça prend à revers un peu tous ces films où les personnages cherchent à se défendre avec tout ce qui leur tombe dans les mains, et qu'à chaque fois ils tombent direct sur une pelle ou une batte de baseball. Là encore, c'est drôle. Mais mon petit coup de coeur méta à moi, c'est quand le film tente encore quelque chose que peu font : dans ce même bowling, Chris est poursuivi par le Zombie d'une dame, et avant de lui écraser le crâne avec une boule, il lui demande "Est-ce que vous m'entendez ?" et attend sa réponse. Pourquoi ? Parce que Chris, il a vu les films, bon sang, et parce que dans "Le Jour des Morts-Vivants" de Romero, on arrive à éduquer les zombies, à communiquer avec eux et à leur trouver des émotions. Joe Dante a même fait voter des zombies dans un Masters of Horror, alors bon sang, pourquoi pas ? Et c'est tout bête, mais plus personne ne fait ça. Dans de plus en plus de film, ce genre de réaction ne se voit plus. On voit de plus en plus fleurir des logiques à la Resident Evil (le jeu, hein), où on cartonne direct le moindre individu identifié comme un zombie avant même qu'il ait le temps de se retourner. Alors certes, on est loin d'un "Day of The Dead" ou d'un "The Girl With all the Gifts", mais d'avoir ajouté ça, c'est résolument une bonne idée, qui en plus rend la situation assez cocasse.
Autant vous le dire, mes amis, vous savez quoi regarder à vos prochaines fêtes de Noà«l si ce n'est déjà fait.