Metalhead

Drame

Europe

Film

Islande

Metal

Verveneyel

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1 août 2023

" Il est très courant qu'en suivant les différents médias Metal on découvre des revues et listes plus ou moins exhaustives de films ayant pour thème le Metal, qu'il s'agisse d'ailleurs de reportages, ou de fictions. Peut-être même en découvrirez-vous en lisant les articles de votre webzine favori... "
Il est très courant qu'en suivant les différents médias Metal on découvre des revues et listes plus ou moins exhaustives de films ayant pour thème le Metal, qu'il s'agisse d'ailleurs de reportages, ou de fictions. Peut-être même en découvrirez-vous en lisant les articles de votre webzine favori.
Il faut dire que, le genre suscitant autant de passion dans son rapport mystique au musicien, à  son esthétique et son propos (après tout, quoi de plus spirituellement exalté que d'aller se recueillir sur le "Mausolée" de Lemmy au Hellfest de Clisson? Mausolée où contrairement à  la définition même du mot il n'y a en fait aucun corps enseveli.), il est évident que l'imaginaire s'en trouverait brassé. En l'occurrence on trouve véritablement de tout, de Black Roses, aux comédies grand public comme Pop Redemption (que pour ma part, sans trop réfléchir, j'ai bien aimé) ou Heavy Trip (que j'adule), en passant par des documentaires pointus comme l'excellent Metal: A Headbanger's Journey de Sam Dunn (Voyage au Coeur de la Bête pour les plus franchouillards d'entre vous) ou Until the Light Takes Us d'Audrey Ewell, sans oublier des florilèges d'humour crasseux entre Deathgasm et Metalocalypse. Personnage ou prétexte, le Metal s'invite dans le 7ème art.
Malgré tout, au milieu de tout contenu, il est un film hors des sentiers bâtus, lointain et confidentiel. Ce film, c'est Metalhead (Malmhaus dans sa langue originale), sortie en 2013, réalisé par Ragnar Bragason; tout droit venu du pays des grands froids, des geysers et des bananes (si si, je vous jure): l'Islande.
Jusqu'ici, dans la plupart des Å“uvres de fictions en général (incluant la littérature), traitant de la musique du malin que j'ai eu la chance de voir; on peut remarquer deux motifs récurrents en terme de narration: on a soit d'un côté le film qui essaye de nous montrer que les passionnés de Metal sont des êtres attachants dont on peut rire de bon coeur, c'est le cas dans Pop Redemption, dans Wayne's World pour les plus nostalgique d'entre vous, et dans Heavy Trip; ou d'un autre côté on assiste à  un grossissement caricatural de la violence et du côté borderline de la musique, qui conduit à  l'éveil de forces mystiques supérieures, perpétuant ainsi l'idée antique du Diabolus in Musica: c'est le cas de Metalocalypse en grande partie, qui le fait très adroitement, mais aussi de Black Roses, qui le fait un peu moins adroitement, et ce, de plus, avec un propos hostile au Metal. C'est aussi le cas dans la série de romans Metal Magic que je vous conseille. Il est parfois même possible de voir les deux se rencontrer, comme dans Deathgasm (regardez-le!).
Ceci dit, même si j'ai une affection certaine pour toutes ces Å“uvres, quelque chose manque à  tout ça, quelque chose de peut-être un peu moins fun que des guitaristes possédés par le démon, des zombies dégoulinants ou des Black métalleux gentils et patauds. Il manque un film qui donne un regard réaliste sur ce qui se passe dans la tête des auditeurs de Metal, qui interroge leur rapport à  la musique et leur passion, qui les observe avec compréhension. Ou plutôt il "manquait".
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Si vous n'avez jamais vu Metalhead, rendez-vous service, voyez-le, et voyez-le au plus vite par tous les moyens possibles. Je vous préviens, je vais spoiler, donc maintenant, au boulot, visionnez-le, ou malheur à  vous ! Mieux encore, si vous connaissez des gens qui ne connaissent pas le Metal, qui n'aiment pas cette musique, ou qui ne la comprenne pas, ne dites rien, montrez leur. C'est un véritable bijou que je vais essayer de vous vendre.
Sur le papier le scénario est assez simple: ravagée par la mort de son frère (il meurt dans les deux premières minutes du film, à  partir de là  on peut difficilement parler de spoiler... Mais c'est quand même une mort violente qui vous fera vous méfier des moissonneuses), une jeune fille se réfugie à  corps perdu dans le Metal.
Le synopsis tient plus ou moins à  ça, et pourtant, que de richesses s'y cachent.
Avant toute chose, pour parler du rapport à  la musique, le film aime profondément le Metal, viscéralement, et ainsi, va jouer à  des jeux de références avec le spectateur endurci. Bien-sûr on a droit à  un petit jeu de blind test avec la bande originale savoureuse. On retrouve également un regard nostalgique porté sur l'époque où les artistes enregistraient des démos sur cassette qu'ils dupliquaient eux-mêmes et envoyaient aux quatre vents à  des petits labels indés ou des collègues zicos; et plus généralement pour le côté Do It Yourself et débrouillard de la musique underground de l'époque. (Si d'ailleurs vous rêvez de cette époque bénie, je vous conseille l'excellent livre Enjoy the Violence.)
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Ensuite on a à  certain moment du film droit au regard générique de la société sur le Metal, plus particulièrement avec l'émergence du Black Metal traitée dans les médias au début des années 90, au moment où Darkthrone, Mayhem, Burzum et Hades commencent à  faire parler d'eux avec les incendies d'église; qui bien-sûr sont suivis de témoignages de quidams outragés. On assiste également à  l'incompréhension des parents d'Hera (l'héroïne) face à  l'obstination de leur fille à  jouer cette musique tonitruante et triste. Et c'est là  que le film réussit le tour de force sur son portrait de la musique Metal; quand vient la réponse aux incompréhensions: le film nous montre tous les types d'auditeurs de Metal, que ce soit l'auditeur qui s'y jette corps et âme en quête de liberté, de compassion et de compréhension, qui devient créateur en quête d'expression; mais aussi l'auditeur qui en a eu besoin à  un moment de sa vie et qui, par la force des choses est passé à  autre chose, profile qui existe aussi; jusqu'à  l'auditeur solitaire qui se persuade qu'il aime le Metal pour s'intégrer à  un groupe social, alors qu'il n'aime pas ça.
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Tous ces portraits suintent le vécu, et ne portent aucun jugement sur les personnages et la musiques. Quand j'ai vu apparaître justement la figure de l'auditeur repenti, je craignais que le film prenne un virage où il défendrait que le Metal est une musique qui s'écoute quand tout va mal et qu'une fois qu'on va mieux, elle s'efface. Ce n'est pas arrivé pour tous les personnages, ça c'est juste passé ainsi pour celui-ci. De la même façon Ragnar Bragason n'essaye pas non plus de prouver que le Metal est une musique toute gentille et rose bonbon, ce qu'on pourrait presque reprocher à  Pop Redemption: dans une scène déterminante, Hera est amenée à  jouer sa musique devant tout son village. Elle commence en hurlant ses paroles jusqu'à  comprendre que l'auditoire n'arrive pas à  la suivre et comprendre ce qu'elle dit. Elle décide alors de continuer le morceau en chantant en voix claire, tout en gardant la distorsion et les blast beats. On pourrait y voir une espèce de trahison du genre, je préfère largement y voir une pleine conscience que le Metal, et de surcroît le Black Metal, est un style de niche qu'à  ce titre tout le monde ne comprend pas naturellement. D'autant que les parties instrumentales restant inchangées, la patte Black Metal est toujours bien présente.
Le film nous montre la puissance émotionnelle du Metal et l'attachement qu'il peut susciter, sans essayer de nous séduire avec des pacotilles ou des gags trop légers pour être crédibles. Et en ce sens, on peut parler d'expérience authentique.
Pour parler un peu de la toile de fond du film, beaucoup de musiciens dans Metal: A Headbanger's Journey expliquent qu'au moment où ils ont démarré la musique, ils s'ennuyaient à  mourir. Dans Metalhead, Bragason nous montre parfaitement cette lassitude. La famille d'Hera habite au milieu de nulle part dans un village où il fait gris, terne, où les habitants sont globalement vieux à  l'exception de trois ou quatre jeunes, guère plus. L'intérieur des maisons est morne, tout y est blanc cassé, décoloré, vieilli. Et au milieu de tout ça, quoi de plus normal pour une toute jeune adulte coincée dans cette platitude entre la ferme de ses parents et un abattoir où elle travaille sous la contrainte, de rêver de liberté à  travers un art globalement rejeté. Les jeunes personnages de Metalhead n'arrivent pas à  se projeter dans le monde et tournent en rond. L'énergie est contenue, cachée, et attend d'exploser.
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Encore au-delà , le cÅ“ur du film, c'est le non-dit, et le rejet, qui en l'occurrence sont intimement liés. Le film nous introduit un personnage principal qui après avoir jeté un regard plein de colère à  une représentation du Christ, part en courant de l'enterrement de son frère, et personne ne lui parle, tout le monde dit savoir ce qu'elle traverse sans jamais lui demander ce qu'elle en pense. Ainsi la seule chose qui lui reste, c'est d'attraper la guitare de son frère, de mettre ses tee-shirts, et de commencer à  jouer, les yeux rivés sur ses posters de Judas Priest et d'AC/DC. De la même façon aucun personnage du film n'arrive proprement à  dire ce qu'il pense pendant la majorité de l'intrigue, toutes les relations amoureuses qui semblent prendre forme tombent à  l'eau parce que chacun espère et imagine des choses sur un autre qui sont toujours erronés. Le couple des parents d'Hera est mis en péril car rongé par une culpabilité inavouée qui dure depuis des années, et un refus imperméable de se résoudre à  aller de l'avant. Le temps est comme figé dans le village, hanté par la mort de Baldur. Les personnages endurent en permanence, et tout ce que les gens leur disent, constamment, c'est qu'ils comprennent, et qu'il faut être patient, sans jamais prendre la peine d'offrir une oreille attentive. Metalhead, c'est un film qui comprend la douleur, et qui vous incite à  vider votre sac.
Le film montre également, encore une fois avec compréhension et compassion, la transition parfois douloureuse de l'adolescence à  l'âge adulte, au moment où résolument on n'est plus une enfant et on commence à  devoir projeter sa vie, même quand on en est incapable. En ce sens c'est d'autant plus intéressant de le voir du point de vue d'une jeune femme qui passe par de nombreuses expériences entre découverte de la sexualité, découverte des responsabilités, besoin criant de liberté teinté d'un besoin bien malgré elle de rester chez ses parents, et désir de rébellion. Hera est un personnage de femme forte, totalement incontrôlable, imprévisible, rejetant l'autorité, et en même temps un être humain fragile acculée par le monde. En ce sens Metalhead n'est pas juste féministe, il est aussi profondément humain, et appelle, sur cet aspect encore, à  la tolérance est l'ouverture d'esprit. Et malgré tout ce tourment, toute cette gravité, le film arrive encore à  être assez fort pour placer des pointes d'humour malin. Une fois de plus les "métalleux" ne sont pas attachants parce qu'ils sont clownesques, ils sont attachants parce qu'ils sont profondément humains. Bragason conclura d'ailleurs son film en nous expliquant que ce désir de liberté, quel que soit notre âge, il sommeille en chacun de nous, à  travers une séquence finale magnifique, touchante et non pas niaise, que je ne vous décrirai pas. Le Metal, envers et contre toute sa noirceur et sa violence, c'est une musique positive, qui nous rassemble, et qui nous ressemble.
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Dernier point thématique, si le film donne un regard aussi objectif sur la musique Metal, il en porte également un sur ce qu'on imagine souvent comme parfait contraire et ennemi de celui-ci: la religion. Dans Metalhead, bien sûr, le personnage se sent trahi par la grâce de dieu qui lui enlève son frère innocent, lui inflige tant de douleur, et ne répond pas à  sa détresse, c'est d'ailleurs mentionné plusieurs fois au cours du film. En ce sens le film apporte un regard compréhensif sur l'athéisme ou l'anticléricalisme; mais pas seulement. Le film dépeint également la communauté religieuse protestante du village comme progressiste et tolérante, en dépit du manque de communication. La plupart des gens du village sont très patients avec les actes d'Hera, y compris les plus graves; et à  noter également que le pasteur de la paroisse est homosexuel, ce qui ne pose de problème à  aucun disciple apparaissant à  l'écran. J'irai même plus loin, ça n'est jamais pointé du doigt même dans un but positif, l'orientation sexuelle du pasteur n'est pas un gimmick ou une caution, c'est un simple état de fait. Je ne peux que soutenir.
Pour finir, ce serait injuste de finir cet article sans faire l'éloge des qualités purement cinématographiques du film, car il y a un vrai talent dans la réalisation et le cadrage. Les intérieures sont claustrophobes et surcadrés, les extérieures immenses et esseulés; et on a même droit à  des moments de franche poésie, dont une scène du début du film, où Hera va sur la tombe de Baldur pour lui jouer ses dernières compositions. À travers les mouvements de caméra et de cadrage, le réalisateur nous offre un petit bijou d'évasion qui semble bien trop court quand on passe au plan suivant. Le temps et l'espace sont bousculés autour de l'artiste hantée.
Ainsi donc chers tous, rendez-vous service, rendez service aux gens autour de vous, trouvez Metalhead de Ragnar Bragason, et regardez-le, ça ne peut pas vous faire de mal.