Les RUNAWAYS en voilà un groupe avec une trajectoire assez atypique : des tubes intemporels, une carrière éphémère, une reconnaissance et un succès concentrés plus particulièrement aux USA et au Japon, un manager aux méthodes particulières… Pourtant cela n'a empêché les studios de produire un biopic en 2010 que je trouve meilleur à chaque fois que je le regarde. J'en avais déjà parlé sous d'autres cieux, mais je tenais à revenir dessus suite à un nouveau visionnage après une discussion avec Verveneyel.
Le film, qui s'inspire de l'autobiographie de Cherie Currie, se concentre sur 3 personnalités en particulier : Cherie interprétée par Dakota Fanning, Joan Jett jouée par Kristen Stewart (la guitariste a coaché l'actrice pour le rôle) et Kim Fowley incarné par Michael Shannon. Pourquoi je ne cite pas précisément les autres membres ? Tout simplement parce qu'elles n'ont pas souhaité être impliquées plus que cela dans le long-métrage (Lita Ford et Sandy West sont donc très en retrait). A noter que la bassiste du film Robin Robins a été inventée de toute pièce en lieu et place notamment de Jackie Fox en raison d'un contentieux juridique.
Comme dit précédemment, lorsque l'on parle des Runaways on est obligé d'évoquer le peu scrupuleux Kim Fowley : la scène où Joan Jett l'appelle pour lui demander du fric pour les aider durant leur première tournée chaotique nous donne une idée peu reluisante du personnage. Celui-ci va prétexter une réunion avec un label important pour abréger la conversation et ne pas donner suite à la demande de la guitariste, alors qu'en fait il a un rapport sexuel sur une table à manger qu'il détruira…charmant n'est-ce pas…. Mais il ne faut pas lui retirer le fait qu'il a créé ce groupe. Il a très vite senti le filon, il le dit d'ailleurs : « plus hard, plus sexe, il faut que ça rugisse du bas ventre » ; et en plus comme elles sont jeunes, c'est « bingo ».
Ces « adu-lescentes » attirantes, différentes avec de vraies personnalités, et qui savent jouer un rock dur, sont un ovni à cette époque (il les vend comme de potentielles Beatles). Le groupe s'annonce sulfureux, donc vendeur, et constitue pour lui une opportunité immanquable à saisir. Un jackpot, certes à court terme comme il semble le deviner, mais un pari gagnant dans tous les cas.
N'oublions pas non plus que dans les 70'S, le rock était vu comme une histoire de bonhommes (Suzi Quatro faisait figure d'exception, elle est d'ailleurs cité par Kristen « Joan Jett » Stewart). Dans le film, le professeur de guitare de Joan Jett lui balance un « les filles ne jouent pas de la guitare électrique » totalement discriminatoire alors qu'elle était venue pour apprendre à jouer du hardrock. Même son petit ami ne la prend pas au sérieux : lorsqu'elle aperçoit pour la première fois Kim Fowley, il l'invite plutôt à s'occuper de son « Popol Johnson » en lui prenant la main et en la posant carrément dessus. Mais elle ne se laisse pas faire, le rembarre en le rebaptisant « Little Richard » et part à la rencontre du manager. Cherie a également connu une humiliation lors d'une représentation où elle performait en David Bowie.
Pour toutes ces raisons, Fowley a voulu aller très/trop vite avec elles : les jeunes filles pouvaient s'identifier à ces rebelles qui secouaient la morale ; les mecs pouvaient les fantasmer (et comme elles sont mineures, cet interdit est encore plus vendeur…no comment, on est d'accord). Le sexe et le sexy font vendre comme nous le rappelle le titre « Cherry bomb » : le mot cherry, cerise, est associé à la virginité. Ce procédé mercantile cultive le côté « femme-enfant » que je trouve évidemment dérangeant (difficile de ne pas faire le parallèle avec les phénomènes des Idols et du groupe Babymetal au Japon).
Comment ne pas pointer également du doigt ses méthodes de management à la dure qui sont totalement discutables (pour ne pas dire inadmissibles). Si elles ont permis de faire collaborer de fortes personnalités et d'avoir des résultats sur le plan artistique, elles n'en restent pas moins inacceptables. Un exemple : il les forme en les faisant répéter/composer dans un van pourri, avec des conditions dégradantes, comme on peut le voir dans une scène durant laquelle des gamins leur balancent des canettes et des excréments séchés afin de les endurcir pour leurs futurs concerts. Et si cet entrainement a permis à Joan, lors d'un gig organisé dans une maison, de se servir de sa gratte comme d'une raquette pour renvoyer un projectile vers le public, cela n'en reste pas moins scandaleux.
Le manager est obnubilé par les ventes et recherche le (son) profit. Il organise une séance de shooting uniquement pour Cherie qu'il compare à Brigitte Bardot (sa beauté fait vendre). Cette séance secrète, que les autres musiciennes découvriront plus tard dans des magazines au Japon, sera à l'origine de leur premier conflit (Joan compare même Cherie à Linda Lovelace, l'une des premières stars du cinéma pornographique). Les jalousies, qui couvaient, commencent à sortir brutalement (elles ne sont pas toutes interviewées à la même enseigne…). Tout cela va attiser les rumeurs, mais encore une fois Fowley va capitaliser sur la presse à scandales : toute publicité est bonne à prendre...
Joan Jett voit bien que l'image est primordiale pour Fowley, et se retrouve en désaccord avec lui. Elle se pose ainsi en gardienne du temple (la musique doit primer), mais également en protectrice de son amie/compagne Cherie avec qui elle entretient une relation « sexe, drogue et rock n'roll » toxique. Les autres membres du groupe lui reprochent sa complaisance avec la chanteuse. Sans surprise, le groupe implose : Cherie supportant très mal cette exposition et quittant le navire pour retrouver sa vie, sa famille. Elle laisse Joan seule (le plan « lumineux » où elle part en est la parfaite illustration). Alors que pour Joan cette vie c'est sa vraie vie. La rupture est consommée.
Pour Kim ce groupe conceptuel est un échec, mais il considère toutefois qu'il a bien travaillé et que cette aventure ne pouvait se finir que de la sorte. Et surtout il considère, qu'à la différence des filles, il restera une légende du rock. Heureusement il s'est planté : si Cherie finit en cure de désintoxication et prendra ses distances avec le monde de la musique, Joan Jett connaîtra un succès mondial avec notamment ses reprises « I Love Rock N'Roll » et « Crimson and Clover » ; Lita Ford mènera, quant à elle, une carrière dans le hard-rock plus qu'honorable.
Ce biopic qui, même s'il prend des largesses avec la réalité (comme beaucoup de film de ce genre), mérite d'être (re)découvert car il est porté par un casting 3 étoiles, une B.O qui file la pêche et donne l'envie de se replonger dans la carrière du groupe et dans les projets solo des musiciennes.
Bonne séance.