Le chemin, tout simplement : Dear Esther

Le jeu-vidéo est-il un art ? Si la question fait de moins en moins débat en 2021, (en faveur du oui, bien-sûr,) c'est bien qu'au cours de sa glorieuse histoire, le jeu-vidéo a connu quelques coups de génies qui lui ont donné une place à part dans les expériences de perception ; tout comme le cinéma s'est séparé autant de la photographie que du théâtre pour s'imposer en discipline à part entière des beaux arts.

Il ne fait aucun doute que le jeu qui nous intéresse aujourd'hui fait partie de ces opus qui ont occasionné un tournant dans le regard porté au jeu vidéo, et dans l'idée même de jeu vidéo. Et je sais pertinemment que Dear Esther est sorti il y a bien longtemps ; 2012 pour sa version la plus à jour ; cependant, je suis certain que nombre d'entre vous sont passés à côté !

Avant toute chose, comprenez que Dear Esther c'est un jeu qui se commence quand vous n'avez rien d'autre à faire. Il se finit rapidement, en à peu près une heure, mais nécessite toute votre attention pour une expérience optimale. Je vous en conjure, donc, ne vous lancez pas là -dedans dix minutes avant de partir bosser ; gardez votre fidèle Street Fighter pour ça.

Dear Esther, c'est une invitation à la détente, à la contemplation ; alors que vous parcourez la solitude sauvage d'une île déserte, balayée par les vents ; gravissant ses collines, parcourant ses chemins, visitant ses grottes, et arpentant ses plages accidentées, en quête de sens, de mémoire, et de rédemption.

Pour tout vous dire, c'est très compliqué de décrire l'histoire de Dear Esther sans vous la spoiler, je m'en tiendrai donc aux observations les plus factuelles possibles, ainsi que mon ressenti pur.

Dear Esther est sans le moindre doute une oeuvre expérimentale avec une vision : votre contrôle en tant que joueur est très limité, car vous ne pouvez, à vrai dire, que vous déplacer, et éventuellement plisser les yeux, pour regarder de plus près certains détails. Vous êtes lâchés dans le jeu, sans explication, sans préparation, et découvrez que c'est en explorant votre environnement que progressivement, l'histoire se déploie, à travers votre voix, et la lecture d'une lettre que vous envoyez à une certaine Esther. Le but du jeu est donc tout simplement d'arpenter le plus possible, pour découvrir le décor, et percer les mystères.

Rien qu'à travers cette description, certes, on est loin de l'action et la réactivité qui feront les joies des fans de jeux d'autres genres. Certains s'y ennuieront peut-être. Certains diront même que ce n'est pas du jeu-vidéo, et au mieux une sorte de roman graphique. Ce serait pourtant oublier que nous sommes bien investi en tant que joueur dans la progression. Tout est d'ailleurs fait pour que l'on se sente immergé : la vue subjective, le monde relativement ouvert dans lequel on a une certaine liberté de choix, la possibilité de perdre, ou en tout cas, de faire fausse route. Le but à atteindre est simplement moins net, l'histoire plus confuse, et, certes, le panel d'action assez limité. Mais on joue, c'est certain. On est acteur de l'histoire que l'on nous présente.

Cette histoire, elle est mise en scène dans un décor qui, même presque dix ans plus tard, reste sublime. Les paysages sont grandioses, nous invitent à l'errence comme une chanson de Black Metal. Alors qu'au loin on semble apercevoir une silhouette fugace, on marche. Ce faisant, on se nourrit les yeux du fourmillement des traits de la végétation, on s'abreuve de la bioluminescence et on s'extasie sous le ciel étoilé. La musique est également d'une beauté à couper le souffle, et le son de la voix de Nigel Carrington est un ravissement, aussi apaisant que certaines voix de livres audios bien choisis.

Le jeu a été pensé également pour ne pas être une expérience unique à jeter dès la première fin : certains éléments de l'histoire sont révélés de façon aléatoire, il faut donc s'y reprendre à plusieurs fois pour avoir la vue la plus globale ; ce qui témoigne, à nouveau, d'une vision artistique.

Et à mesure que la narration avance, quand bien même elle est confuse, quand bien même elle est ouverte à l'interprétation, elle n'en devient pas moins poignante, et je dois reconnaître que même après quatre essais, le chapitre final avec "l'armada" et l'épilogue m'émeuvent à chaque fois, presque aux larmes. L'alchimie entre tous les éléments, certains choix esthétiques, le cadrage de la cinématique de fin, créent cette puissance émotionnelle.

Si vous ouvrez votre esprit, Dear Esther est une expérience onirique qui vous donnera des frissons, même en 2021. Et à vrai dire, pour la modique somme de 9, 99â‚¬ sur Steam, avec en prime les commentaires des développeurs, pourquoi donc rechigner ? Pour moi, en tout cas, c'est clair : je suis conquis.