Chemine, Famine : Widjigo - Estelle Faye

Europe

France

Horreur

Roman

Verveneyel

-

1 août 2023

" Chers amis, je viens aujourd'hui vous donner une autre bonne occasion de vous enfoncer dans un fauteuil pour profiter d'un bon moment de lecture. Voyez plutôt : "
Chers amis, je viens aujourd'hui vous donner une autre bonne occasion de vous enfoncer dans un fauteuil pour profiter d'un bon moment de lecture. Voyez plutôt :
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Une troupe de soldats de la révolution s'avance jusqu'à  un phare où se terre un marquis, que la terreur a désigné comme homme à  abattre. Le meneur du contingent, Jean Verdier, n'éprouve aucune fierté à  arrêter un noble qui aura tout donné pour soutenir la révolution et venir en aide au peuple ; et celui-ci d'ailleurs ne compte pas se laisser embarquer. Il piège alors les soldats dans son phare, finalement cerné par la marée haute ; et commence à  narrer son histoire.
Avec Widjigo, Estelle Faye nous invite à  la découverte de l'environnement impitoyable de Terre-Neuve, où une expédition de marginaux se retrouve investi d'une mission : retrouver un cartographe perdu au cÅ“ur d'une l'île sauvage, peuplée de loups, et d'esprits malins.
La tâche ne sera pas aisée, car tout semble empêcher la troupe de progresser : impossible de se repérer clairement dans ces forêts, la nourriture se fait rare, laborieuse à  récolter, la pluie et la neige ne cessent de tomber, le froid mord en permanence ; tout ceci participant à  nourrir l'épuisement des protagonistes, tous désunis et suspicieux. D'ailleurs, un pasteur le dit à  un moment du livre : ils sont tous coupables. De quoi ? Comment ? Vous risquez de découvrir que bien des monstres sommeillent dans cette morne équipée ; dont un qui a particulièrement faim.
On arrive au moment où je balance mon interprétation personnelle, mais pour commencer, je dois dire que j'ai passé un excellent moment sur ce livre, à  l'ambiance très pesante et hallucinée. L'île est si inhospitalière qu'elle en devient presque irréelle, comme une sorte de purgatoire à  ciel ouvert ; dans lequel les personnages sont, malgré les grandes étendues qui s'offrent à  leur regard, piégés dans une sorte de huis-clos sartrien. Ils sont condamnés à  cohabiter dans des degrés divers d'inimitié. C'est un livre qui respire la froideur jusque dans les interactions entre les personnages, qui ne donnent que très peu dans les sentiments, car je le répète, ils ne se font pas confiance. Ils se connaissent à  peine pour commencer, et trouvent au fur et à  mesure de l'intrigue toujours plus de matière pour nourrir leurs incertitudes. Leurs interactions, quand elles ne sont pas purement conflictuelles, sont principalement orientées vers un pragmatisme de survie.
On retrouve aussi dans ce cheminement désespéré des airs de "Heart of Darkness" de Joseph Conrad ("Apocalypse Now" pour les cinéphages), du meilleur effet. La nature est le principal ennemi des voyageurs sur l'essentiel du livre. Certes, elle ne sera pas responsable de tous les maux (voire tous les morts !) mais elle percevra le plus lourd tribu, et participera constamment au malaise qu'on ressentira en s'identifiant à  ces hommes et femmes perdus. C'est également la terre, plus encore que les êtres, qui semble chargée de mythes, de folklores et de magie.
À noter également que quelques sauts dans le temps s'opèrent pour nous ramener au phare de Basse-Bretagne où les soldats sont retranchés, pour complexifier la relation entre Jean Verdier et le marquis. Il y a aussi une troisième époque, plus subtile, comme en filigrane, qui nous permet de plonger plus profondément dans la pensée d'un personnage en particulier, et d'expliquer une sombre histoire d'offense et de vengeance.
Je ne m'étendrai pas davantage de peur de révéler un détail capital, mais soyez assurés que c'est une valeur sûre, digne de votre temps, digne de votre passion, qui vous offrira d'ailleurs la surprise d'un twist final simple mais bien amené, qui renforcera encore un peu l'étrangeté vécue tout au long du volume.
C'est à  s'arracher chez Albin Michel.
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