L’épée Brisée – Poul Anderson

Epic

Fantasy

Roman

USA

Verveneyel

-

17 mars 2024

" Tragédie Epique "

Heureux soyez si comme moi, vous avez un bon libraire. Un passionné, guide d’autres passionnés, qui saura en un tournemain vous mettre sous les yeux l’évasion que vous méritez.


 

Ainsi me fut délivré L’Épée Brisée de Poul Anderson, après avoir exprimé une envie de "sword and sorcery" de bon goût, et si possible en pas trop de tomes. La couverture était attrayante, la quatrième de couverture suffisamment volubile pour promettre les folles aventures de frères ennemis sans trop en dire ; et le constat que Poul Anderson appartenait à la même époque de Tolkien, une promesse suffisante.


 

Probablement l’un des livres qui m’ait le plus captivé en 2023, c’était pour sûr une bonne pioche. L’Épée Brisée, c’est l’histoire de Skafloc et Valgard, jumeaux ennemis dans l’éternel. L’un a été dérobé par les elfes parce que ses parents, en plein dilemme inter-religieux, ne l’ont pas baptisé. L’autre, changelin né du giron meurtri d’une otage troll, est placé dans le berceau du premier pour prendre sa place. Ainsi fut filée l’étoffe d’un destin pavé de douleur, d’illusions perdues, et de nombreuses batailles qui laisseront d’hideux charnier dans le sillage de leurs protagonistes. 


 

Si je me permets ce petit jeu de style que d’aucuns trouveraient pompeux, c’est pour rendre un hommage approprié à la grande tragédie qu’est ce livre, imprégnée de bons mots grecs ou de ficelles Shakespeariennes. C’est une histoire triste, à plus d’un titre, mais vraiment poignante et mythique, à qui l’on aurait attribué une ancienneté bien supérieure. L’intrigue nous assène sans pitié son cours prévu, et désespérément inéluctable. On trouve notamment des jeux de malédictions et de mœurs déviantes que Sophocle n’aurait pas boudé.


 

Les personnages participent à rendre l’œuvre grandiose dans la complexité de leur sentiment, et les conflits intérieurs qui les assaillent, émotionnels comme moraux. Lire les personnages de L’Épée Brisée, c’est lire la tension irréconciliable de ce que le monde attend de vous, et de ce que vos aspirations individuelles en feront. D’une certaine manière, les personnages déçoivent leur aspirations les uns après les autres, et pourtant poursuivent. 


 

L’univers qui les entourent reflète également ce chaos, dans la lutte existentielle des différents mythes qui l’habitent : les elfes causent toute l’intrigue par souci de perpétuité. les trolls prennent les armes par désir de pouvoir, mais aussi de ne plus être à genoux. Se joignent à la bataille des créatures féeriques de tous les cieux, se débattant pour être, eux aussi. Et plus haut encore, se croisent les dieux Scandinaves, les dieux Celtes, devenus presque humains eux-mêmes, éclipsés par un hypothétique dieu unique dont le culte prolifère. L’Epée Brisée se fait récit mythologique de la fin des mythes, et de l’avènement des hommes, la féerie détrônée, de guerre lasse.


 

Les combats qui jalonnent cette épopée sont à la hauteur de ses enjeux, et vous serez autant rassasiés par les complots et les guérillas que par les batailles rangées et les sièges, opposant parfois la légèreté, l’adresse, à la force brutale la plus sauvage. C’est de même un texte qui regorge de voyages, de chevauchées endiablées et autres navigations périlleuses.


 

Il me semble, pour finir, que le texte vieux de soixante-dix ans garde tout de même une certaine intemporalité notamment dans le traitement de ses personnages féminins, loin d’être superficiels, montrant au même titre que les hommes une résilience à toute épreuve face aux assauts impitoyables de l’histoire.


 

Rien à dire, c’est un bijou de fantasy, qui, s’il a déjà un statut culte dans le monde anglophone, mériterait de l’avoir bien davantage sur notre hexagone.