Horreur
Roman
USA
Aaaaah, les clowns dans l'horreur. quel classique. Devenu presque aussi évident que les vampires, les zombies, ou les tueurs increvables armés d'objets métalliques tranchants, ces joyeux drilles sont partout. Dans des mauvais films, dans des bons films, dans des comics contre des chauve-souris en kevlar, dans La Voix du Nord à la rubrique fait divers, au gouvernement ; vous en avez tous en tête, et ils sont même là quand on ne parle pas vraiment d'eux : vous voulez rendre vos méchants plus menaçants ? Faites comme “The Purge” ou "31", mettez-leur du maquillage et un nez rouge, ça donne bonne mine derrière les tronçonneuses. Et en avant la jeunesse, on va flotter.
Aussi, avec la pléthore de médias clownesques n'ayant pas toujours la qualité de “Ça”, difficile de trouver à tous les coups une bonne pioche qui va nous laisser un petit quelque chose de mémorable. À défaut de les connaître toutes, voici une proposition, d'autant plus intéressante qu'elle est très bonne en roman, et assez mauvaise en film. Pourvu que cela vous donne envie d'aller chez le libraire.
"Un Clown dans un Champ de Maïs", c'est l'histoire de Quinn, une lycéenne qui arrive de Philadelphie pour commencer une nouvelle vie à Kettle Spring, un village perdu dans la campagne profonde. Son père s'apprête à devenir le nouveau médecin du coin. Au loin, par la fenêtre de sa chambre, Quinn aperçoit les restes brûlés de l'usine Baypen, le coeur industriel défunt de la ville. Et sur la taule de cette vieille fabrique de sirop de maïs, à moitié calciné, le clown Frendo la regarde.
Très vite, Quinn se rend compte que les adultes sont assez à cran vis-à-vis des jeunes gens de Kettle Spring, en particulier contre le groupe de potes de Cole, mystérieux bellâtre dont la soeur est morte il y a peu dans un sinistre accident de fête. Naturellement, c'est ce groupe de pote qui accueillera Quinn dans sa nouvelle vie ; ce qui pourrait lui causer des problèmes quand un Frendo sanguinaire sort de la nuit armée jusqu'au dent pour trucider du jouvenceau. La soirée va être longue, d'autant plus que la joviale mascotte semble être partout à la fois…
En déployant de gros efforts pour ne pas vous en spoiler davantage, c'est une lecture qui tient en haleine jusqu'au bout, et qui vous prend par surprise sur ses vrais intentions : en regardant la couverture, je m'attendais à un slasher assez conventionnel, et même pour ça, j'étais prêt. Mais le roman est en réalité un vrai survival horror qui mélange subtilement des souvenirs cinématographiques comme “Eden Lake”, “2000 Maniacs” ou “The Purge” à différents niveau. Ce qui le rapproche du Slasher, c'est son côté “produit d'horreur young adult” accessible, qui réfléchit sur la relation entre les générations à l'heure des réseaux sociaux et de l'Amérique ultra-réactionnaire de Donald Trump, mais en rafraichissant son genre grâce à un propos plus moderne. Quinn est un vrai personnage de femme forte qui ne perd pas sa féminité dans l'usage de la force, un aspect qui fait souvent discuter à propos de final-girls classiques comme Helen Ripley ou Sidney Prescott. Le rapport à la sexualité qu'ont les jeunes dans le roman est aussi un bon reflet de son époque et nourrit la réflection sur le fossé entre générations.
Mais pour ceux qui s'en moque un peu de mes verbiages intellos, ne partez pas tout de suite, car la bonne vieille jouissance est bien là, avec des meurtres très violents, un suspense assez bien amené, une narration efficace qui nous amène les réponses avec un rythme agréable. Le clown Frendo est un clown marquant car porteur d'un background riche, d'une mission définie. Pour l'accomplir, il est équipé à divers moments du récit de toute un arsenal d'armes blanches qui viennent exacerber les moments d'angoisse. C'est aussi une figure ambivalente derrière laquelle se réfugient se griment plusieurs personnages pas toujours dans le même camp. Frendo c'est une mascotte, donc c'est avant tout ce qu'on en fait, comment on l'interprète.
C'est une vraie bonne lecture d'horreur bien moins simple et prévisible que ce que son titre laisse présager.
Et c'est pour toutes ces raisons qu'il est inutile de voir le film. Je vous décrivais à l'instant un roman malin, original, efficace. Le film n'est rien de tout ça. Le film est une version normalisée, terne, de l'histoire. Pour commencer, le film change complètement des éléments de l'histoire, pour enlever à chaque fois des couches de profondeur. Le livre commence par la mort de la soeur de Cole ? Allez hop, ça dégage (malgré l'importance de l'évènement dans le récit). La relation de Quinn et Cole est un peu indéfinissable pendant tout le roman ? Faisons-les se galocher au bout de quinze minutes (et je ne peux pas vous dire pourquoi c'est très problématique, vous irez lire le livre). Et ça ne remplit même pas les conditions pour être un bon nanar car ce n'est pas drôle non-plus. Quitte à avoir des acteurs peu expérimentés, autant les faire cabotiner un peu notamment sur certaines scènes bien choisies, mais non, tout est un peu contenu et terriblement premier degré, donc assez ennuyeux. C'est un film qui fleure le caprice de producteur pour avoir un film d'horreur pour ado scolaire et sans âme, pour faire des sous sans trop en jeter dans le processus. C'est vraiment indigne du livre.
Une dernière fois donc, “une goutte de Baypen résout tous les problèmes”, mais seulement sur le papier !