" Pourquoi chroniquer un rockumentaire sorti en 2009 ? "
Pourquoi chroniquer un rockumentaire sorti en 2009 ?
Premièrement j'ai pu voir Anvil fin février 2020 à Vauréal, quelques jours avant le début confinement, et j'ai passé un super moment : musicalement solide, un groupe content d'être en tournée, une setlist séduisante aux allures de Best-Of des familles…vivement que l'on retourne au Forum pour passer de belles soirées comme celle-ci.
Deuxièmement parce que je l'ai revu tout récemment avec mon compère Verveneyel et que l'on estimé tous les 2 qu'un tel documentaire est d'utilité publique.
Troisièmement parce que le réalisateur Sacha Gervasi est un fan de la première heure et qu'il nous livre un témoignage honnête, parfois brut(al) et plein d'humanité.
Et quatrièmement pour les enseignements que l'on peut en tirer. En effet, les déboires qui ont frappé durement les canadiens tout au long de leur carrière peuvent arriver à tous les groupes. Ce n'est pas parce que vous avez sorti un tube intemporel et des albums solides que le succès viendra forcément toquer à votre porte. Parfois les planètes ne sont pas alignées, parfois c'est la faute « à pas de chance », parfois à cause d'un mauvais entourage/encadrement…Bref le succès c'est la loterie, c'est un peu comme le sport de haut niveau : combien d'anonymes/d'amateurs pour un Maradona/Metallica professionnels de haut niveau ? Le rapport doit être d' 1/100 000, et encore je suis large je pense. Les témoignages de Lars Ulrich, Slash, Scott Ian ou encore de Lemmy vont également dans ce sens : les mecs sont bons, très bons mais inexplicablement le succès n'a pas été au rendez-vous.
Petit coup de gueule avant de commencer la chronique : mettre sur la jaquette arrière DVD la punchline « l'improbable destin d'un groupe de looser qui a raté le train du succès pendant 25 ans ! » c'est quand même pas vraiment respectueux du groupe (et ce même s'ils loupent souvent les trains lors de la tournée européenne reportée dans le DVD). Je veux bien que la promo joue sur cette étiquette de malchanceux, mais il ne faut quand même pas pousser mémé dans les orties. Ce groupe existe officiellement depuis 1978 et cette promo à la Spinal Tap n'est pas du meilleur goût.
The Story Of Anvil suit les canadiens lors de la conception de leur treizième album « This is Thirteen » (très bon d'ailleurs), enregistrement qui sera mis en pause le temps d'une pseudo tournée européenne où le groupe ne gagnera pas une thune et enchainera les mauvaises surprises. Entendre Lips dire qu'il a dû poser des journées de congés pour partir sur le vieux continent fait froid dans le dos : c'est Anvil quand même, pas un groupe obscur ultra underground.
D'ailleurs le boulot de Lips est tout sauf rock n'roll : il livre des repas chauds aux écoles de sa ville. Une leçon d'humilité, de courage, de détermination et de passion (destructrice j'aurai presque envie d'ajouter) pour la musique dont beaucoup devraient s'en inspirer, qu'ils soient connus ou pas.
Quant à Robb, il travaille dans la construction et occupe également ses journées en peignant des toiles. D'ailleurs il va nous présenter une de ses Å“uvres, dont il semble fier, mais qui a fini exposée dans les toilettes à la demande de sa femme (autre alerte moment gênant du film^^).
Le reportage/film est rempli de moments gênants dans le sens où l'on éprouve assez souvent de la peine pour les 2 amis d'enfance Robb et Lips. Les 2 leaders se disputent sans cesse lors de la phase d'enregistrement de l'album, Robb est à 2 doigts de quitter le combo. Et même si Lips s'excuse de son exubérance, il faudra l'intervention du producteur Chris Tsangarides pour calmer les esprits et repartir sur de bonnes « vibes ».
Pour payer les 13 000 $ demandés par Chris Tsangarides pour assurer la production, le chanteur-guitariste demandera une avance financière aux membres de sa famille. Voir Lips et sa soeur pleurer devant la caméra est particulièrement troublant. Quant à la famille du batteur, on sent bien que celle-ci est à bout, à cran et ne supporte plus que ce dernier perde son temps et son argent dans cette (més)aventure musicale. Il y a des phrases blessantes, voire même assassines dans The Story Of Anvil ; bien plus que dans le « Some Kind Of Monster » des 4 Horsemen.
Lips aura même un coup de main inespéré d'un fan (qui lui doit bien ça tant Anvil est important dans sa vie) qui lui proposera un job de démarcheur téléphonique pour lui permettre de gagner un peu d'argent. Malheureusement Lips lâchera vite le poste au motif qu'il n'est pas fait pour ce métier (il ne réalisera aucune vente).
Le choix de Chris Tsangarides n'est pas anodin ni très surprenant : il a produit les meilleurs albums du combo (Metal On Metal, Forged In Fire, Backwaxed) mais également d'autres albums cultes et surtout à succès autant artistique que commercial (Mean Streak des Y&T, Renegade de Thin Lizzy, Painkiller de Judas Priest…). Un producteur rassurant pour Lips qui vit dans le passé (on a l'étrange impression d'être face à un ado), un passé qui rimait avec plus de succès.
Parlons maintenant de la fameuse tournée européenne. Le Sweden Rock Festival devrait en être l'apothéose même si l'heure de passage n'est pas optimale. Mais Lips va rendre ce moment une nouvelle fois gênant avec son comportement backstage. Il se comporte comme un fan lambda auprès de musiciens qui ne se souviennent pas (très bien) de lui et ni de ces anecdotes. Les absences de réactions de Carmin Appice, lorsque que Lips évoque une groupie, et de Michael Schenke,r lorsqu'il lui rappelle hilare qu'il joue de la guitare avec un vibromasseur, laissent sans voix. Tout comme sa course lorsqu'il aperçoit au loin un Tommy Aldridge médusé…
Heureusement pour Lips que Jay Jay French des Twisted Sister se rappellera très bien du groupe et leur témoignera beaucoup de sympathie, d'affection et de respect. L'honneur est sauf.
Le reste de la tournée sera chaotique aves des trajets en van à cause de trains ratés, des concerts dans bars quasiment vides et pas toujours payés, un festival affichant une capacité de 10.000 personnes pour une affluence finale de 175 personnes...Pourtant Lips ne regrette pas cette tournée, n'accable pas l'organisatrice qui s'avèrera être une fan et non pas une professionnelle. Mais au moins il n'était pas chez lui et il a donné des concerts. Anvil est sa raison de vivre.
Malgré ces obstacles, l'album est enregistré et Lips contacte de très nombreux labels pour la distribution de cette 13ème galette. EMI recevra le groupe mais refusera de les signer car ils considèrent que leur carrière est derrière eux.
Toutefois une lueur va apparaitre dans la grisaille ambiante : le CD promo a plu et le groupe est invité à se produire au Japon dans le cadre du Gigantour (Megadeth…). Lips est aux anges, mais une fois arrivé sur place il va déchanter dans un premier temps en constatant qu'Anvil fait l'ouverture. Il redoute une très faible affluence et maudit encore cette malchance et ces injustices à répétition. Mais c'est mal connaître le public Japonais Mr Lips qui est très respectueux des artistes et témoigne toujours un soutien sans faille. Sa surprise sera de taille lorsqu'il découvre une salle déjà très bien remplie pour leur prestation, on voit bien qu'il est ému par cette foule qui lui répond.
Le documentaire se termine comme il avait commencé, au son du cultissime « Metal On Metal ». À 2 époques différentes (80's et 2000's) certes, mais avec un groupe qui communie avec le public.
The Story Of Anvil est-il le documentaire musical ultime ? La question mérite d'être posée tant il montre sans filtre et sans prendre de gant les coulisses, les dessous et les mésaventures qui n'arrivent pas qu'aux autres. En tout cas on peut apprécier ou pas ce côté immersif dans le quotidien du groupe (le réalisateur évite le piège du documentaire « voyeuriste »), mais l'abnégation de Lips et Robb donne une belle leçon de courage et de persévérance. Comme le chantait Johnny « Qu'on me donne l'Anvil, L'Anvil d'avoir Anvil, qu'on rallume ma vie » ^^.
A consommer sans modération et à garder dans un coin de sa tête lorsque l'on se lance dans la musique avec son groupe.