Chers amis, vous souvenez-vous de cette époque où vous aviez un humour douteux, basé sur les saletés les plus triviales ? Admettons, peut-être que ça ne vous ait jamais arrivé, peut-être étiez-vous purs et innocents ; mais mon petit doigt me dit que certains d'entre vous ont connu les joies de l'humour pipi-caca, le plaisir d'imaginer les histoires les plus dégoûtantes, les plus grossières, et les plus ouvertement choquantes. Qui n'a jamais rêvé d'être l'auteur de Scrotty McBoogerballs dans South Park ? Si tout cela ne vous dit rien, cette chronique n'est peut-être pas pour vous, mais restez quand même, on ne sait jamais.
Carnivoros (renommé Spanish Chainsaw Massacre par nos amis anglophones, un peu à tort), c'est le film qui nous intéresse aujourd'hui. Comme son nom l'indique c'est une production espagnole, à tout petit budget (3000 € si on en croit Imdb, dîtes vous que si cette estimation est juste, c'est presque 200 fois moins de budget que Le Projet Blair Witch... Oui, oui!), réalisé par Manolito Motosierra, qui semble plus que coutumier des films d'exploitations loufoques ; et avec une pléiade d'acteurs totalement inconnus au bataillon.
Pour commencer, de quoi ça nous parle ? On suit les pérégrinations d'un groupe de Metal, "Las Pollas del Metal" (comprenez "Les couilles du Metal"... Oui, oui!) en route pour une tournée, avec leur manager, suite à une engueulade avec un producteur caractériel. En chemin, le manager prend une route douteuse à travers les champs, crève un pneu, et toute la troupe pousse le van jusqu'à un énigmatique village où on leur offre le gîte et le couvert. Ils ne s'imaginent pas cependant, en consentant à rester, qu'ils ont atterri dans un village de fou furieux cannibales, qui s'apprête à fêter leur saint patron.
Et dire ça, ça ne nous dit pas grand chose sur le ton du film. Carnivoros est un film complètement barge qui ne recule devant aucune fantaisie dégoûtante. Aucun personnage principal n'est véritablement aimable, tout le monde est un peu con, un peu dégoûtant, un peu grotesque, avec notamment la chanteuse du groupe qui a couché avec tout le monde, est enceinte, et continue de se shooter à l'héroïne ; le batteur obèse qui ne fait que manger, le bassiste et le guitariste très porté sur le cul, le manager complètement soumis et ringard... Bref, on a là des portraits cradingues, archétypaux et peu flatteurs. Malgré tout, je ne pense pas qu'il faille y voir un quelconque message pour ou contre le Metal, les gens qui l'écoutent, les gens qui le jouent : le film est un vrai exutoire, et je pense que le Metal n'est qu'un élément de plus dans la logique du film pour le rendre plus violent et plus excessif. Le film aura d'ailleurs fait l'effort d'intégrer le style à l'alchimie du film puisque la musique elle-même contient souvent des guitares distordues.
Pour ce qui est des villageois, c'est à peu près pareil : on a soit des personnages qui font comme si tout allait bien, comme le maire ou le personnage au béret noir, tandis qu'à peu près tous les autres sont des psychotiques fous furieux, souvent difformes, qui feront gicler le sang par cascade. Les hommes sont impulsifs, fangeux ; les femmes sont des objets de désire armés de bistouris et de tronçonneuses...
Et pourquoi n'est-ce pas si mauvais alors ?
Premièrement, parce qu'il ne faudrait pas accuser le film d'être ce qu'il n'est pas. Même si l'amour de Motosierra pour Tobe Hooper se fait sentir dans ses mouvements de caméras et dans le traitement de ses cannibales, le film ne prétend jamais être aussi sérieux que Massacre à la Tronçonneuse. C'est un laisser-aller total, cathartique, qui se rapprocherait presque de la notion "d'art pour l'art" définie au XIXème siècle si on s'en tient à sa plus stricte définition : on s'attache à la qualité intrinsèque de l'art, sans y mêler une quelconque dimension didactique. Le film est choquant pour le plaisir de la "shock value", n'a pas de message, et à cet égard, se rapproche énormément, y compris sur le plan de l'humour, à 2000 Maniacs d'Hershell Gordon Lewis. Quand on voit par exemple un personnage masculin se faire mordre le gourdin (voyez comme je galère pour écrire une chronique tout public...) jusqu'à arrachement, on est dans le même type de bouffonnerie que ce personnage de 2000 Maniacs qui coupe le doigt d'une femme après lui avoir dit "Tenez, regardez comme il coupe bien mon couteau".
On retrouve également le côté 2000 Maniacs d'ailleurs sur la présence d'une fête de village apparemment traditionnelle, avec son lot de jeux dangereux et sanglants. Du lâcher de pierre chez Lewis, on passe au concours de mangeur d'intestins chez Motosierra. Rajoutez à cela tout le côté sexuel et coprophile, forcément ça va plus loin ; le personnage du chef par exemple est assez abominable, tandis que "La Puta de Espaà±a" a des petits airs de Baby Firefly. On plante des clous par-ci, on avorte manuellement par-là mais, disons-le, tout le monde se marre.
En voilà d'ailleurs un constat intéressant : tout le monde se marre. Rien n'a de sens, tout va trop loin. Et ça c'est une chose importante à laquelle on ne pense pas : les acteurs s'amusent-ils dans les films que l'on regarde ? Et les réalisateurs ? À quel moment le plaisir de créer quelque chose à plusieurs a-t-il le droit de prendre le pas sur une vision artistique ? Il y a de quoi méditer.
Ce film est un délire du début à la fin, et les gens qui jouent dedans s'amusent. Vous allez dire que c'est un détail, mais c'est en réalité ça qui rend le film aussi sympathique : les acteurs sont amateurs, donc ne jouent pas très bien, donc révèlent assez facilement leur véritable état d'esprit, hors du personnage. Toutes l'équipe savait qu'ils avaient signé pour une grosse connerie, l'ont vécue comme tel, et le plaisir délirant est assez communicatif. C'est ce même plaisir de faire un peu n'importe quoi qui fait que The Dead Don't Die de Jarmusch est excellent, et que tout le monde l'a détesté. Carnivoros est un mauvais film, conscient de lui-même, mais tellement sympathique et attachant dans son côté joyeusement candide qu'on en ressort avec un petit sourire coupable sur les lèvres.
Alors bien-sûr, le film n'est pas tout public, et ne doit pas tomber entre toutes les mains, mais il vaut assurément le détour si on est prêt à se laisser séduire, à suspendre pour de bon son incrédulité, et voir une espèce de clip de Goregrind géant ! C'est un DVD que je ne regrette pas de posséder, même s'il ne vaut mieux pas le laisser pleinement en évidence sur mon bureau.
Bon visionnage !