Arthur Rimbaud, en 1870, nous invitait à respirer à pleins poumons l'air de la liberté, aller «â€¯loin, bien loin, heureux comme un Bohémien / Par la nature, heureux comme avec une femme » puis en en 2017 en France arrivent d'autres poètes qui peignent des visages pour rendre plus supportable la mort.Ces versificateurs funèbres composent sur les cendres de l'existentialisme un premier acte le 28 Septembre 2018 en 8 titres provenant des recoins les plus sombres de la psyché cimentant leurs diverses formations avec la sensibilité Darkned d'anéantissement d'un quelconque souffle de vie. Je nomme à la barre : Demande à la Poussière.
Composé de Krys Denhez, Edgard Chevallier, Neil Leveugle, Vincent Baglin, les quatre hérauts sortent ce 26/03/2021 le second opus « Quiétude Hostile » sous le label MY KINGDOM MUSIC, 8 berceuses mortuaires en 52 minutes. Avant de commencer, il est nécessaire de préciser qu'à l'écoute de cette bande-son, tu vas devoir être doucement mais continuellement forcer de repousser les barrières de ce que tu crois être supportable. Cette expérience philosophique de l'angoisse et du désespoir trouvera un écho profond dans ton cÅ“ur, et sera accordée avec la période troublée que tu traverses en ce moment. Alors prêt à tutoyer avec moi l'asthénie qui te guette ? Un instant j'enclenche la petite boîte de musique des horreurs.
Dès les premières vociférations, « Léger goût de soufre » indique la teinte de l'album. 14 secondes suffisent pour que cette nappe d'ambient indus te plonge dans une sensation inconfortable, sale, qui dégénère dans une ambiance discordante,ce premier titre,encapsule complètement l'essence de DAP. La différence flagrante dans cette Å“uvre est la façon dont la voix de Christophe Denheza été poussée à l'avant-garde de la musique, drapé de ce mélodrame trempé dans le tourment. Chaque ligne de riffs livre une telle intensité, se mêlant aux rythmiques hypnotisantes de Vincent & Neil qui confinent l'ensemble. Premier titre et j'ai déjà sorti les cordes pour chaque personne que je ne supporte plus en ce bas monde.
« Morphème » poursuit ce long chemin qui pousse l'homme dans ses peurs les plus primaires. La peur est associée à des parties phylogénétiquement plus anciennes du cerveau, celui-ci même qui matérialise ton mal-être, l'angoisse, soit le miroir d'un ensemble de phénomènes affectifs.Les mélodies ambiantes de ces guitares sludgés te permettent de t'immerger complètement dans l'atmosphère et l'ambiance mégalithique froide de ce post rock noise drone blackeneddoom à la répétition tentaculaire qui va très vite déloquer les verrous de ta propre destinée. Les stratifications fantomatiques de Christophe sont glaçantes, associées à cette voix emprisonnée dans son propre asylum, qui enrobe l'ensemble dans une virée de désespoir affirmant la vie en prenant son essence dans l'introspection délicate juxtaposée avec la lourdeur brûlante de cette folie.
Neil s'associe à l'hostilité ambiante de l'opus pour aligner ses lignes de basses et construire les paysages sonores de ces cathédrales impénétrables de nos constructions névrotiques. L'homme est l'architecte de sa propre destruction et DAP en restitue parfaitement les codes sur ce troisième titre « Eréthisme ». Pour preuve, ces accords aériens et arachnéens qui construisent ce point culminant exaltant sur lesquels le narrateur de ses propres démons libère ce mantra étrange : « Nausée curative, Purgeant la noire ciguà« des jettaturas, Pour laisser apparaître la purulente plaie, Suintante et dégoulinante, une lente sanie ruisselante, Maculant des draps poisseux, D'une vie atonale, Aux accents d'une funèbre issue ». Tu as clairement compris que rien ne te fera échapper tôt ou tard aux casseroles que tu traines comme les fantômes le font avec leurs chaînes.
« Quiétude Hostile » fait ressortir cette rage massivement incandescente. Les instrus transpirent ces subtilités délicates tissant les émotions de Christophe, lui faisant éructer ses locutions émotionnellement dévastatrices. Je me suis surpris en écoutant cette track au casque sentir m'enfoncer dans cette toile et ma femme me parlait sans qu'apparemment aucune réaction ne se lise sur mon visage. Aucun battement de cils, le temps c'est arrêté, je pense avoir été mort dans cette enveloppe charnelle durant cet instant. Vous avez réussi à m'emporter dans votre voyage mortuaire Demande à la poussière, je ne peux que saluer votre performance.
La dépersonnalisation j'en avais fait un parallèle avec une précédente chronique, je ne ferai donc pas l'explication ici de ce que c'est. Sache juste que « Perdu » ce titre à l'instru au 3/4, te bercera vers ce sommeil éternel avec cette splendeur si noble que seule la faucheuse est capable d'appliquer. Orchestration spéléologique dans le cortex cérébral accompagné de ce mélange furieux de riffs discordants et de cris viscéraux. Cette piste est à mon sens celle qui accompagnera mes Å“uvres artistiques dessinées les plus glauques. Ses Å“uvres qui te demandent quand tu es artiste de faire un blackout avec ce qui t'entoure, te demandent de sortir ce que tu as dans les tripes pour ensuite matérialiser tes névroses abyssales sur des toiles blanches. Ces mêmes toiles que nous traversons depuis que la pandémie Å“uvre, dépersonnalisant le monde qui nous entoure, digitalisant celui-ci annihilant nos contacts humains, ces contacts qui te permettent de sentir que tu es vivant, car peu à peu nous commençons à devenir, si réaction il n'y a pas, l'ombre de nous-même. Bravo pour cette introspection DAP.
« J'entends un bruit sourd. Je me retourne - du sang, beaucoup de sang, du sang très rouge -, le corps a basculé dans le panier » tel est le propos de Monique Mabelly, sur l'histoire du dernier condamné à la peine capitale en France. Mais selon toi, qu'est-ce qui se passe réellement dans le labyrinthe de ta matière grise si on t'annonce que tu vis tes derniers instants, avant de passer vers un monde que tu ne connais pas et qui cristallise tes peurs depuis l'enfance ? « Bois de justice » en est la caméra, la double vue. C'est une expérience cinématographique et son horrifique qui coule de ce 6èm titre. Son intensité sulfurique à la Burzum boursouflée de ces textes à la complainte funéraire est d'autant plus dévastatrice par cette mélancolie qui prend vie à coup de violents blast-beats guillotinant ce calvaire, libérant l'homme de cette camisole de peur.« En une seconde, une vie a été tranchée. L'homme qui parlait, moins d'une minute plus tôt, n'est plus qu'un pyjama bleu dans un panier. Un gardien prend un tuyau d'arrosage. Il faut vite effacer les traces du crime… »
« L'oubli du Contrasté » acoustique, sensuellement malsain, ce titre représente la créativité impressionnante du groupe.Ils ne prennent pas des genres disparates et les segmentent, mais les fusionnent, le rythme et la fureur que tu peux ressentir de façon tangible dans le jeu ont toutes les caractéristiques du Post-Hardcore, tandis que l'espace de l'instrumentation témoigne de leur influence Blackened. L'album se clôture sur une ambiance post apocalyptique, avec la mélopée au saxophone de Dima (White Ward). Christophe livre malgré cette frénésie sur « Expiravit » cette mélodie à la brutalité cinglante. La composition ici crée ce sentiment de claustrophobie qui trouble d'abord, puis infeste ton cerveau puis développe cette horreur abrasive. L'habileté à contrôler cette atmosphère en dit long sur la puissance inventive de Demande à la poussière. Ce dernier titre marque je l'espère l'ajout de matières organiques plus marqués en gardant ce son analogique.
Alors il en pense quoi Hokuto 2 Kuizine ?
C'est un album ambitieux, une merveille de paysages sonores cinématographiques et de lourdeur émotionnelle déchirante. Beaucoup de groupes se la donnent dans des performances multiples, c'est devenu une mode. Celui qui claquera le pire solo de Bastard, celui qui blast à 8 bras, qui double avec ses couilles (quand tu en as, ça se fait rare) … Pas chez Demande à la poussière, la musique se joue brute, c'est de l'ambient, de la noise, la musique des artères de nos vies, ça bouillonne, c'est abrasif. Leurs influences et univers permettent de franchir les frontières de la musicalité et de ne jamais devenir ennuyeux. Les textures qui composent cette musique ne sont accentuées que par la décision du groupe de jouer avec une propreté et un son qui rendent les moments darkned d'autant plus lourds, et les sections plus calmes de construction contemplative et de tension qui te saisissent à la gorge pour contempler cette flamme qui s'épuise au fond de ton âme. J'ai pris une grosse cartouche et il surclasse tout ce que j'ai pu entendre ces 20 dernières années dans le milieu underground. Cet album ferait se suicider la mort elle-même (c'est ma phrase du moment il y a un copyright dessus alors tu n'y touches pas, on a des avocats du diable dans la famille mouhahahaha).