Qu'est-ce qui fait un album ? La question est peut-être anodine, mais elle vaut son pesant de cacahuètes. Réfléchissez-y deux minutes. Est-ce que c'est le nombre de titre ? Pas tellement. Rappelez-vous du dernier album de Sorcier des Glaces: un seul titre, 50 minutes de musique. On parle souvent d'EP ou Demo 5 titres, mais tout porte à croire qu'un seul suffit à faire un album. C'est la durée peut-être alors ? Toujours pas! Change of Season de Dream Theater fait 57 minutes, et ça n'est qu'un EP; et ce, alors même qu'il est à quelques minutes près presque deux fois plus long que Tomb of The Mutilated de Cannibal Corpse, et à peu près six fois plus long que Stench of Swedish Buzzsaw de Mortify. Est-ce que c'est une question d'unité de composition en terme d'espace et de temps ? Toujours pas non plus, car si Fils de Lutte de Trust a été composé en quelques jours, à peine un an après son prédécesseur, certains albums mettent des années entières à se compléter, et en cours de route, les morceaux peuvent avoir été la réponse à des contextes très différents. Certains morceaux même atterrissent dans des albums parce qu'il n'y avait plus de place dans le précédent comme c'était le cas avec Steal this Album de System of A Down. à‡a vous fait mal à la tête, n'est-ce pas ?
Tout ça pour vous dire que si le critère de la durée était un indicateur fiable de la nature d'un album, peu de disques mériteraient autant le titre que celui que nous attaquons aujourd'hui.
L'année 2019, qui, je le répète, a été une grande, grande année pour les sorties Metal, a vu revenir sur le devant de la scène, sous la houlette du label Season of Mist, le groupe de Funeral Doom de Birmingham: Esoteric. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'après une absence de nouvelle galette pendant huit ans, on l'attendait de pied ferme et avec une certaine excitation. D'autant plus que sur sa carrière s'étalant petit à petit vers les trente ans de service, les anglais ne nous ont jamais déçu avec des albums en demi teinte voir mauvais: chaque sortie d'Esoteric, c'était la promesse, renouvelée huit fois à ce jour, de passer un moment d'anthologie. Le pari est à nouveau réussi sur ce huitième album, A Pyrrhic Existence qui tout au long de ses quatre-vingt-deux minutes de musique, vous emmène à travers un voyage sidéral fantomatique et méditatif; qui prend le temps de nous dire tout ce qu'il a à dire.
Et si la composition est très progressive, il est malgré tout possible de sentir de vrais changements d'humeur d'un morceau à l'autre. En outre, "Descent", emprunt de noirceur et de contemplation, se distingue nettement du morceau qui le suit, "Rotting in Dereliction", extrêmement tourmenté au départ, et de plus en plus épique à mesure qu'il progresse. Les exemples sont légion. Chaque morceau est béant, et vous fait passer par des nombreuses émotions, de nombreux chemins sinueux de composition. La lourdeur qu'impose le style n'est d'ailleurs pas une obligation constante et n'empêche aucunement des moments virtuoses, dans les aigus.
Cet album, c'est une migration spirituelle très intense, qui nécessite un temps de digestion, et de nombreuses écoutes pour en faire le tour, de quoi vous maintenir captivé pendant un bon moment. Rien n'est limité, vous l'aurez compris, dans la largesse technique de la composition, le chanteur ayant d'ailleurs une tessiture vaste, parfois rehaussée par des effets; tandis que guitares, batterie, basse et samples bâtissent la structure de chaque édifice. L'album vit comme un cétacé, (souvent même avec des sons entre samples et larsens, qui y font directement penser) avec de grandes inspirations qui durent, durent, jusqu'à la prochaine bouffée d'air. Les temps morts n'existent pas, puisque la mort est partout. A Pyrrhic Existence est ultra-complet, et constitue une vraie expérience d'écoute.